| amour | | | Le goût du secret, un langage codé, l'adversaire presque toujours imaginaire, la vie d'un camp retranché, des sièges, des dangers nocturnes, le sens aigüe de hiérarchie - « L'amoureux est un guerrier » - Ovide - « Militat omnis amans ». | | | | |
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| amour | | | J'aime ceux qui rapprochent l'homme de la tentation de l'arbre. Ève et Adam, ignorant encore les sirènes volatiles, en compagnie du reptile. Daphné répondant aux assiduités d'Apollon par métamorphose en arbre ; la mère d'Adonis, Myrrha, qui, une fois arbre, produit la myrrhe, dans l'éphémère jardin de son fils. Ce bon Ovide laissant Jupiter transformer le couple d'amoureux, Philémon et Baucis, en deux arbres (la dernière partie de leurs corps, à passer dans le règne végétal, - les yeux ! ). | | | | |
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| amour | | | La hauteur semble être la seule position, où l'on puisse aimer sans attache (l'amour tout court, ou la charité de Pascal), espérer sans attache (la philosophie de transcendance, ou la spem sine corpore d'Ovide), croire sans attache (la philosophie d'immanence). | | | | |
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| ovide | | | Ignoti nulla cupido.
On ne désire pas ce qu'on ne connaît pas. | | | | |
| | amour | | | La cervelle et l'âme ont leurs trésors d'ignorance, dont ils n'échangent jamais les clefs. Mais tout savoir est d'usage commun. St-Augustin : « tu ne peux pas aimer la chose, que tu ignores » - « amare aliquid, nisi notum non potest » - persiste dans la même erreur. Que fait-il de l'ignoré le plus fabuleux, et qui se dit être lui-même Amour, – Dieu ! | | | | |
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| art | | | Le talent, c'est à dire mon valoir, et non pas mon ample pouvoir ni le profond savoir ni même mon intense vouloir, qui doit être l'essence, c'est à dire la forme de mon opus. « L'art n'est rien d'autre que de ne faire apparaître que le talent » - Griboïedov - « Искусство в том только и состоит, чтоб подделываться под дарование ». En revanche, la technique doit y être cachée : « Dans un art admirable l'art lui-même est caché »*** - Ovide - « Ars adeo latet arte sua ». C'est l'incapacité de chevaucher Pégase qui pousse la piétaille à s'engager sur les chemins battus du vrai, du juste ou du complet. Avec l'artiste, ce n'est pas la bouche sereine qui parle, mais l'âme incertaine : « Chez l'artiste, l'art ferme sa bouche d'homme » - Pasternak - « в искусстве человеку зажат рот ». | | | | |
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| ovide | | | Video meliora, proboque, deteriora sequor.
Je vois le meilleur, l'approuve et fais le pire. | | | | |
| | bien | | | Le mal se cache dans le Bien, je l'extirpe et le Bien me quitte. J'aurais fait le meilleur, d'autres juges l'auraient condamné, d'autres yeux y auraient vu le pire. Le conflit n'est pas entre ma liberté et la pensée, il est entre mon bras et ma tête. Et il n'est jamais certain, qui, entre les deux, est plus séculier ou plus spirituel. Ce qui est certain, c'est que dès que j'agis, je suis au service de l'acrasie. Le meilleur en moi est peut-être dans la faculté de voir le pire dans ce que d'autres, en moi, saluent. Ni St-Paul, ni J.Racine (« Je ne fais pas le bien que j'aime, et je fais le mal que je hais »), ni Voltaire ne l'ont compris. Le Bien se loge dans le regard. La cervelle est un bon interlocuteur des yeux ou des bras, elle n'en est néanmoins pas un intermédiaire fidèle. C'est à Adam et Ève que nous devons le passage fatal du choix entre bon et meilleur vers celui entre Bien et mal. | | | | |
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| cité | | | Les soifs, dont mourait notre âme, devinrent soifs, dont vit l'économie. Mais il est inepte de dénoncer le plaisir de la possession matérielle : « L'exécrable soif de l'or » - Virgile - « Auri sacra fames » ou « la misérable passion de richesses » - Ovide - « amor sceleratus habendi »., sans comprendre, qu'avec l'égalité matérielle, ce désir est aussi dépassionné que la santé ou le bon appétit. | | | | |
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| hommes | | | On est assez grand, tant qu'on peut se boire ou se lire, en oubliant les lèvres et les dates des autres. Virgile, au moins, pensait au jugement d'Homère, et Horace - à Sappho… Ovide a raison : « Qui n'est pas d'aujourd'hui, sera encore moins de demain » - « Qui non est hodie, cras minus aptus erit ». Quant à l'avenir, tout bon art devrait se fier à la « poste de la bouteille », Celan (Flaschenpost), le « pays du cœur » (Herzland) ne manquant pas de rivages. | | | | |
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| intelligence | | | Au-delà d'une certaine profondeur, aucun courant de vie n'alimenterait plus mes racines. « Le méchant arbre compte sur des racines profondes » - Ovide - « Mala radices altius arbor agit ». En toute saison, écoute la hauteur de tes cimes, où l'appel de la lumière déterminera l'intensité de tes ombres. | | | | |
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| ovide | | | Quem si non tenuit, magnis tamen excidit ausis.
Celui-là, s'il n'a pas réussi, a succombé à de nobles efforts. | | |  | |
| | ironie | | | Il a même érigé sa propre arène en Espagne, imaginé son adversaire invisible et choisi son arme infaillible ; ses bras faillirent, mais pas son âme. Tandis que celui-ci, réussissant sur des lices communes, n'a exhibé que de vils efforts, en absence de l'âme. | | | | |
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| ovide | | | Siqua videbuntur casu non dicta latine, in que scribebat, barbara terra fuit.
Si, d'aventure, mon latin paraît douteux, c'est que la contrée où j'écris est barbare. | | | | |
| | mot | | | La contrée, où j'écris, est civilisée, et mon français douteux porte les mêmes aspérités. Relégué auprès des Scythes, rejeté par les Scythes, dans des masures ou au milieu des ruines, nos mots brisés s'assemblent sans brisure. | | | | |
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| ovide | | | Interdum lacrimae pondera vocis habent.
Il arrive, que la larme ait la force du mot. | | | | |
| | mot | | | Et le vrai mot est une larme de l'oreille, des sons brisés aux gouttes cristallines. | | | | |
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| ovide | | | Lingua, sile, non est ultra narrabile quidquam.
Tais-toi, ma langue, il n'y a plus rien à raconter. | | | | |
| | mot | | | Écrire, ce serait psalmodier et non pas parler. Narrer aurait dû rester dans l'oral. | | | | |
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| noblesse | | | Dès que mon regard s'attache non pas à sa direction, mais à son intensité, je suis sollicité par la voix de la noblesse et de la musique. Je m'évade de la platitude, je deviens jouet des chutes et des essors. « C'est le regard qui fait s'élever ou s'effondrer ton esprit » - Ovide - « Ingenium voltu statque caditque ». | | | | |
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| noblesse | | | C'est en position couchée que j'atteins la meilleure hauteur, étoilée de chutes, que la position debout prépare. Être dans la hauteur, c'est être près de la chute. Ovide se trompe de pose : « debout, vouer son regard aux étoiles » - « erectos ad sidera tollere vultus ». | | | | |
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| proximité | | | À la possession trop intime : « Tout ce qui est à moi, est sur moi » - Bias - « Omnia mea mecum porto » - je préfère la possession à distance ; ce qui est sur moi n'est pas à moi. Tout ce qui est à moi, m'est caché. Plus une chose inaccessible me manque, mieux je la possède. Qu'est-ce qui est le plus lointain de mon soi connu ? - mes désirs ! Et Ovide : « ce que je désire, est avec moi » - « quod cupio, mecum est » vise son soi inconnu. | | | | |
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| proximité | | | Comment se débarrasser de la hantise des profondeurs, pour n'en garder que le vertige ? - en vidant la mer (ce qui, pour Nietzsche, équivaut la mort de Dieu), ce qui classe parmi l'inconnu ce qui eut la prétention d'être inconnaissable ; les gouffres dénudés nous rendent plus honnêtes que la face faussement prometteuse ou mystérieuse (et que Valéry appellerait toit tranquille cachant l'altitude) ; ainsi, la hauteur sera la seule issue vers l'inaccessible, vers le rêve. « La terre, déçue par la profondeur, préserve les germes de la hauteur »** - Ovide - « Tellus seducta ab alto retinebat semina caeli ». | | | | |
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| russie | | | Pouchkine fut exilé au même endroit qu'Ovide ; à peu près au même moment, Napoleon, de son exil sur l'île d'Elbe pouvait apercevoir la Tour de Sénèque, en Corse, où s'ennuyait jadis son prédécesseur d'infortune ; je visitai les deux sites : l'ambiance à vous étouffer d'ennui ou de vous couper le souffle ; on aurait dû invertir ces lieux, pour que le chantre de l'amour ne laissât pas choir sa lyre et le maître du courage élevât son stoïcisme. | | | | |
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| solitude | | | Je peux être seul sur terre, où je pense et agis, devant le ciel, où je rêve ou prie, dans un souterrain, où je doute ou me confesse. Mes compagnons y sont l'épaule des hommes, le scintillement des astres, le soupir des murs. La vraie solitude : les étoiles, qui s'éteignent, ou les échos, qui se meurent, ou les feuilles, qui se vident. « Que ton arbre soit plein de feuilles, et ton ciel - plein d'étoiles » - Ovide - « Quid folia arboribus, quid pleno sidera caelo ». | | | | |
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| solitude | | | On échoue à rendre un vrai état d'exil (Ovide, Pétrarque, Dante, Pouchkine, Dostoïevsky, H.Arendt, S.Zweig), on ne réussit qu'à en esquisser la pose (Sénèque, Casanova, Byron, Nietzsche, Kafka, S.Weil, Nabokov, Cioran). Et l'exil n'est pas le seul état d'âme, qui reste toujours à inventer, je soupçonne, que l'amour, la foi et la noblesse possèdent la même étrangeté. | | | | |
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| solitude | | | Se rencontrer soi-même en multitude - une utopie consolante ; se rencontrer soi-même en solitude - une utopie désespérante. Jeux de miroirs ; l'âme ignore ses sources ; même Narcisse tombe amoureux d'autrui. Comme le créateur, devant son œuvre : « Cet être, c'est moi : ma richesse est aussi mon manque »** - Ovide - « Iste ego sum : inopem me copia fecit », ce qui est le cogito d'artiste. | | | | |
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| solitude | | | Vivre couché ou caché, pour vivre debout et heureux - depuis Épicure (« Vis caché »), cette coquetterie est propre de ceux qui baissent les yeux pour mieux attirer sur soi ceux des autres. « Se cacher pour vivre, c'est piller une tombe » - Plutarque. Dès qu'on agit, on n'est plus soi-même ; toute action est un masque : « Je m'avance masqué » - Descartes - « Larvatus prodeo ». Pour mieux te verser, cache ta source (si, par malheur, tu la connais). À comparer ce calcul tourné vers l'avenir, avec un regard, sur le passé, d'un poète : « Celui qui s'est bien caché a bien vécu » - Ovide - « Bene qui latuit bene vixit ». Et en plus, l'homme même serait, hélas, ce qu'il cache (Malraux), tandis que « les hommes se distinguent par ce qu'ils montrent et se ressemblent par ce qu'ils cachent » - Valéry. | | | | |
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