| action | | | Aucun chemin ne mène au rêve ; aucun progrès ne s’y produit ; le rêve n’est qu’un élan vers l’inaccessible immobile. Et quand on s’émerveille « du rêve condensé en fait », on finira, avec amertume, par y voir le passage « de l’inaccessible à l’état de chemin battu » - Hugo. | | | | |
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| kafka f. | | | Ich entdecke in mir nichts als Kleinlichkeit, Entschlußunfähigkeit, Neid und Haß gegen die Kämpfenden, denen ich mit Leidenschaft alles Böse wünsche.
Il n'y a en moi que mesquinerie, indécision, envie et haine contre les combattants, auxquels, ardemment, je souhaite tout le mal. | | | | |
| | action | | | Belle panoplie, face à la mesure, la mise en route algorithmique et la tolérance des insipides. L'ardeur ne trouve plus de place que dans l'abstention, synonyme d'isolement, face aux décidés : « L'indécision est une solitude ; vous n'avez même pas votre volonté avec vous » - Hugo – la volonté, chassée des muscles et immigrée dans l'âme, s'appellera prière ou regard, lien entre terre et ciel immobiles. | | | | |
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| amour | | | La meilleure façon de donner est de se donner ; pour créer, rien ne vaut s'être créé ; mais pour aimer, s'aimer n'apporte rien et gâche, souvent, tout : « Veux-tu qu'on t'aime ? Ne t'aime pas » - Hugo. | | | | |
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| amour | | | Chez les écrivains, il y a une énigmatique relation entre la qualité de leurs amours secrètes et le degré de fébrilité de leur style ; mais je ne saurais déterminer où est la cause et où est l'effet. Les amours délicates favoriseraient les classiques (Goethe, Flaubert, Valéry), les amours banales réveilleraient les romantiques (Lamartine, Hugo, Pasternak), les amours vulgaires pousseraient les véhéments (Tolstoï, Nietzsche, Cioran). L'esprit, le cœur ou le corps y sont conducteurs de leurs émois. Mais il semblerait que le plus parfait organe de l'amour fût, malgré tout, l'âme (Goethe serait du même avis) ; et c'est l'exemple unique de Tsvétaeva, qui connut toutes les trois sortes d'amour et n'aima que de l'âme, et qui en est la plus belle et la plus tragique illustration. | | | | |
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| amour | | | Le sacré devrait fuir la force ; et là où règne la faiblesse, c'est à dire l'amour, le sacré surgit, sans qu'on ait besoin d'en désigner la source. « Sentir l'être sacré frémir dans l'être cher »* - Hugo. | | | | |
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| amour | | | Deux êtres constituent notre personnalité : celui de notre soi inconnu, ne s’exprimant que dans la création et n’étant visible qu’aux yeux amoureux, et celui de notre soi connu, qui, le plus souvent, obstrue la vue du premier. Heureux celui qui trouve les yeux qui percent ce voile : « Aimé pour nous-mêmes, ou plutôt aimé malgré nous-mêmes » - Hugo. | | | | |
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| amour | | | L’amour est plus près du rêve que de la vie, il est dans le regard avec les yeux fermés ; aimer, c’est un devenir créateur, plus intense qu’un être créé. Comment puis-je m’entendre avec Hugo : « Aimer, c’est vivre ; aimer, c’est voir ; aimer, c’est être ». | | | | |
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| amour | | | Ton âme et ton esprit peignent leur vague état avec des ombres, d’autant plus précises que la lumière provienne de ton cœur amoureux ; et c’est peut-être la seule chose qu’il faille demander au cœur. « Aimer, c'est avoir une lumière dans le cœur »*** - Hugo. | | | | |
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| amour | | | L’amour-arbre meurt de l’absence d’ombres, que projettent les feuilles-caresses ; dans la racine, tout n’est que lumière. « Sans les caresses, l’amour meurt par la racine » - Hugo. | | | | |
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| amour | | | Aimer est le seul état, dans lequel ton ange et ta bête harmonieusement cohabitent. L’ange s’occupe de la hauteur, et la bête – de la profondeur. Et tu quittes la platitude, où règnent la reconnaissance, la fierté ou la gloire. « Aimer, c'est être un ange avec la gloire d'être un homme » - Hugo. | | | | |
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| hugo v. | | | On passe une moitié de sa vie à attendre ceux qu'on aimera et l'autre moitié - à quitter ceux qu'on aime. | | | | |
| | amour | | | L'amour est fait de la distance : quand elle est immense, peu importe si l'on s'en approche ou s'en éloigne - seule compte la hauteur du vertige, lumineux ou ténébreux. | | | | |
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| art | | | Tant de livres annoncent, dès la première page, soit de la noirceur soit des arcs-en-ciel. Et combien ne laissent, derrière la dernière page, qu'une grisaille rapidement dissipée. L'artiste est celui qui, devant sa toile, tente de ne pas brandir sa palette. À l'écriture suffisent une tempête du bocal ou de l'encrier : « un verre d'eau aurait les mêmes passions que l'océan » - Hugo. Pour le regard, c'est aussi simple : « Un rond d'azur suffit pour voir passer les astres » - E.Rostand. Quand le sang ou l'encre vous manqueront, vous vous tournerez, pusillanimes, vers l'univers entier : « Que le cratère de Vésuve soit mon encrier » - Melville - « Give me Vesuvius crater for an inkstand ». | | | | |
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| art | | | Faute de flamme intemporelle, d'intensité et d'air, ils n'exhibent que de minables objets, à leur minable lumière : « L'ardeur qui dure devient lumière » - Proust - l'ardeur qui dure est une fadeur. Une bonne flamme n'est qu'étincelle, elle devrait s'allumer dans le mot, s'éteindre dans la note, se refléter dans le marbre. Ne laisser ni la couleur, ni la froideur, ni le goût, ni la réalité des cendres. « Transmettre la flamme et non vénérer les cendres »** - G.Mahler - « Weitergabe des Feuers und nicht die Anbetung der Asche ». Pour ceux qui à la passion préfèrent la réflexion, l’inverse semble acceptable : « La cendre ne parvient qu'à me prouver la flamme » - Hugo. | | | | |
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| art | | | Je veux peindre l'oiseau, et l'on ne découvre, sur ma toile, qu'une cage. Et je balbutie, avec tous les sots, que le peintre ne doit pas apparaître dans ses tableaux. « Malgré la passion du mouvement, ce que désirais le plus, c’était d’être renfermé dans une cage » - Chagall - « При всей любви к передвижению я всегда больше всего желал сидеть запертым в клетке ». Plus que dans un cachot de l'esprit, c'est dans une tour d'ivoire de l'âme qu'on a besoin de barreaux : « L'âme est le seul oiseau, qui soutienne sa cage » - Hugo. On vit le mieux sa liberté à travers, ou même en-deçà des contraintes : « Il lui semble, que le monde est fait de barreaux, et au-delà de ce monde - aucun autre » - Rilke - « Ihm ist, als ob es tausend Stäbe gäbe, und hinter tausend Stäben keine Welt ». C'est par la délicatesse des barreaux qu'on reconnaît notre parenté avec les volatiles. « La pensée est un oiseau qui, dans la cage des mots, peut déployer ses ailes »* - Gibran - « Thought is a bird, that in a cage of words, may unfold its wings ». | | | | |
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| art | | | Quand je cherche à adapter la forme à un fond préexistant, je deviens superficiel ; c'est le fond profond qui doit naître d'une haute forme. Le fond final doit être intelligible, le parcours stylistique – lisible et la forme initiale – sensible, mais ces trois rayonnements, ou trois répartitions d'ombres, doivent se soumettre à la lumière de mon haut regard, si je ne veux pas me retrouver dans la platitude : « La forme, c’est le fond qui remonte à la surface » - Hugo. | | | | |
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| art | | | Les philosophes insensibles à la poésie (les légions de professeurs), ou les poètes impuissants en prose (comme Baudelaire, Rimbaud ou Mallarmé) font douter de l'universalité de leur don. Les poètes complets mettent de la poésie en tout, y compris dans la prose : Shakespeare, Goethe, Pouchkine, Lermontov, Hugo, Rilke, Valéry, Pasternak. La poésie comme genre ayant sombré, la poésie comme tonalité discursive ne peut plus se pratiquer qu'en philosophie. | | | | |
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| art | | | S’éloigner de la réalité est un bon moyen pour se rapprocher du rêve ; la grandeur de Hugo et Dostoïevsky y doit beaucoup – tous leurs personnages sont irréels, contrairement à Balzac, Stendhal, Flaubert, chez qui on devine facilement un voyou, un ambitieux, un imbécile, tous bien réels. Aucune belle idée, et encore moins aucune belle image, ne peut surgir d’une source réelle. | | | | |
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| art | | | Qu’on soit passablement intelligent, comme Balzac, ou résolument stupide, comme Proust, leurs tableaux des repus exhalent la même pestilence morale. Les grands mondes qui y sont peints ne reflètent que la petitesse des personnages insignifiants et abjects. Mais Hugo et Dickens s’apitoient sur les pauvres humiliés, au lieu de dénoncer la pauvreté humiliante. La vraie noblesse, comme la vraie honte, on ne les trouve que chez Cervantès et Dostoïevsky. | | | | |
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| art | | | Chateaubriand créa deux tonalités, la romantique et la hautaine, dont héritèrent, respectivement, Stendhal le mondain et Hugo le monumental. Le premier manque de hauteur, et le second – de profondeur. Le premier imite, le second innove. | | | | |
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| hugo v. | | | Le génie ressemble au balancier, qui imprime l'effigie royale aux pièces de cuivre comme aux écus d'or. | | | | |
| | art | | | Il est plutôt ciseleur du regard solitaire que poinçonneur des poids commun. L'effigie n'est que signature, qui justifie le droit de frapper sa propre monnaie. | | | | |
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| hugo v. | | | Car la poésie est l'étoile, qui mène à Dieu rois et pasteurs. | | | | |
| | art | | | L'étoile désignant le vainqueur, pour que le rimeur ne se trompe pas de timbre ! Et tout cela pour se retrouver nez à nez avec des tyrans et des manants ! Autant rester dans sa propre crèche et en appeler à la résurrection du verbe désintéressé. | | | | |
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| hugo v. | | | Non, nous ne créons pas ! Nous plagions nos âmes. | | | | |
| | art | | | Le talent, c'est l'écoute fidèle de notre âme, de notre soi inconnu, infini, inarticulable. Sans le talent, on écoute et copie le monde. L'art, c'est le plagiat de ce soi. On ne crée qu'en traduisant ; j'interprète mon âme étrangère, et elle, barbare, quand elle se met à parler notre langue de mots, elle nous plagie ! | | | | |
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| bien | | | Le vrai sentiment de honte ne naît pas des aveux accablants, mais du constat que tout aveu est un faux témoignage, aucun verbe n'ayant assisté à notre crime d'être né. Calderón, Trakl et Cioran semblent suivre l’homme hugolien qui : : « pleure sur des berceaux et sourit à des tombes ». L'omniprésence du remords, au cours de la vie, me signale que la vie elle-même porte les stigmates de cette faute. | | | | |
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| bien | | | Le goût pour la poésie est des plus anti-démocratiques et anti-humanistes. L'absence de honte pour leurs privilèges, implicitement ressentis comme mérités, chez Chateaubriand, Lamartine ou Nietzsche, disqualifie l'homme, mais n'atteint nullement le poète. La honte sociale, chez Hugo, Marx ou Tolstoï, honore l'homme, mais engrisaille le poète. | | | | |
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| bien | | | Il est si facile, aujourd'hui, d'être juste, qu'on en oublie d'être bon - c'est à cela qu'aboutit celui qui pense, que : « être bon est chose facile, le difficile c'est d'être juste » - Hugo. | | | | |
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| bien | | | L'âme est pleine de flèches et de vecteurs, pour mes goûts, mes élans, mes préjugés ; mais le cœur n'a que quelques points indéfinis, témoins d'un Bien immatériel, intraduisible ; à la hauteur d'âme et à la profondeur de cœur, l'esprit apporte des horizons des idées et des actes. « La conscience est la ligne droite, la vie est le tourbillon » - Hugo. Dans la conscience, le Français voit l'esprit, l'Allemand – le cœur, le Russe – l'âme. Tous les tourbillons, aujourd'hui, se calmèrent dans une platitude. | | | | |
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| hugo v. | | | Qui donne aux pauvres, prête à Dieu. | | | | |
| | bien | | | Qui prend aux riches, plaît à Dieu ! La plus récente bassesse du monde est dans les riches modernes. Qui fait oublier que la pauvreté en est la plus vieille noblesse. Le bavardage sur la lutte - presque inexistante ! - entre le Bien et le mal, camoufle la vraie ligne de front : « Le monde n'est pas partagé entre les bons et les méchants, mais entre les riches et les pauvres »** - Jean-Paul II. | | | | |
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| hugo v. | | | L'ignorance, ce sont des crépuscules, où rôde le Mal. | | | | |
| | bien | | | Et c'est à l'aube du Bien matériel, annoncé par le savoir, qu'on trousse le plus férocement les attardés de la Nuit spirituelle. | | | | |
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| cité | | | Ce n'est pas à cause d'un prétendu gouffre grandissant entre la vie réelle et les intellectuels, que ceux-ci disparaîtront de la scène. C'est, au contraire, à cause de leur fusion journalistique avec la vie réduite aux statistiques. Ce gouffre béni aura existé pendant 250 ans, mais des pelletées des Balzac, Dickens, Hugo, Tolstoï, Sartre l'ont comblé malgré quelques sapes des Flaubert, Nietzsche, Valéry. Jadis, on confondrait l'intellectuel avec le vagabond (c'est à dire extra-vagant – celui qui vagabonde hors la vie) ; aujourd'hui, il est indiscernable d'avec le garagiste. | | | | |
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| hugo v. | | | Car le peuple est en haut, mais la foule est en bas. | | | | |
| | cité | | | Le peuple devient foule, quand il croit aux proclamations bruyantes, qu'il n'est qu'en haut. Dans notre société, éthiquement silencieuse et esthétiquement horizontale, - « la populace est en haut, la populace est en bas »*** - Nietzsche - « Pöbel oben, Pöbel unten ». La liberté crée le peuple qui parle, la fraternité crée le peuple qui chante, mais l'inégalité en refait la foule qui bavarde. | | | | |
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| hugo v. | | | La chimère est aux rois, le peuple a l'idéal. | | | | |
| | cité | | | Une illustration de différence entre être et avoir. Dès qu'on court d'après une chimère, elle se mue en idéal. Un idéal, qu'on laisse vivre hors de portée des griffes et même des ailes, se rapproche délicieusement d'une chimère. | | | | |
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| hugo v. | | | La liberté consiste à choisir entre deux esclavages : l'égoïsme et la conscience, qui est l'esclavage de Dieu. | | | | |
| | cité | | | Le vote pour l'égoïsme est secret, celui pour la conscience et donc pour la dépossession exige d'élever l'âme. Dans une société libre on préfère la discrétion. L'égoïsme ne cultive que deux libertés : la liberté d'entreprendre et la liberté de posséder. | | | | |
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| hugo v. | | | Une égalité d'aigles et de moineaux, de colibris et de chauve-souris, qui consisterait à mettre toutes les prunelles dans le même crépuscule, je n'en veux pas. | | | | |
| | cité | | | L'affamé brandit sa misérable assiette, et vous le repoussez en invoquant l'envergure de vos ailes et le timbre de vos chants - ignoble ! Vos prunelles de rapaces ne percent pas près d'une aube fraternelle. Le chemin le plus sûr vers la goujaterie – votre méritocratie aptère. | | | | |
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| hugo v. | | | La dernière raison des rois : le boulet. La dernière raison des peuples : le pavé. | | | | |
| | cité | | | L'avant-dernier pas est toujours plus instructif que le dernier. Comparez le plumage dressé et la sourde révolte - aux boulets et pavés. | | | | |
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| hugo v. | | | Le peuple est conduit par la misère aux révolutions, et la révolution ramène le peuple à la misère. | | | | |
| | cité | | | L'élite affamée aspire à l'unanimisme, et la démocratie nourricière lui inspirera la mentalité des repus. On ne comprend toujours pas, que l'existence même des repus signifie l'existence de la misère. La misère est dans le relatif des cyniques, l'excellence est dans le superlatif des ironiques. | | | | |
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| hugo v. | | | Qui est incapable d'être pauvre, est incapable d'être libre. | | | | |
| | cité | | | Notre société, si prodigue en récompenses des mérites, prive tout homme fort de cette chance de vivre en misère et le rend, de ce fait, esclave méprisable. L'homme ne sachant pas se contenter de peu, vivra toute sa vie en esclave (Horace). | | | | |
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| doute | | | Le savoir se vulgarisant, il devint facile et tentant, pour l'homme réaliste et orgueilleux, de n'émettre que de la lumière. Mais cette tendance nous fait trop souvent oublier, que nous sommes enfants de la nuit, où naissaient nos rêves. « L'homme est un dérivé de la nuit »** - Hugo. | | | | |
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| doute | | | L’instant où ton soi connu est touché par ton soi inconnu, par ton âme donc, est instant d’inspiration. Mais Hugo associe l’âme au soi connu : « Les âmes, les moi mystérieux, vont vers le grand moi ». Le soi inconnu est atemporel et immobile ; seul le soi connu connaît les lieux et les dates. | | | | |
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| hugo v. | | | Vous voyez l'ombre, et moi je contemple les astres : Chacun a sa façon de regarder la nuit. | | | | |
| | doute | | | Ce qui t'oppose à Platon ! L'un des services qu'on peut demander à la contemplation de la nuit, c'est de rendre plus supportable le jour. Le jeu des ombres, ici, est plus enchanteur que la lumière des enjeux. Entre-temps, le goût se déplaça du contemplatif vers le digestif : « Je m'en vais dîner. Et moi, je vais me retirer pour mes contemplations nocturnes » - les derniers mots de la Bestia trionfante de G.Bruno (« Me ne vo a la mia cena. Ed io mi ritiro a le notturne contemplazioni »). | | | | |
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| hommes | | | Les contemporains de Montaigne, de Pascal, de Voltaire, de Hugo, de Valéry se lamentaient, exactement comme les nôtres, sur la dissolution des sens, l'effondrement des principes, la déchéance des hommes, la désintégration de l'humanité. La seule différence notable est que nous sommes contemporains des houellebecq. Ceux-là furent héritiers d'une grande culture, et ils concevaient leurs propres commencements ; ceux-ci sont porte-parole accumulatifs d'une inculture moutonnière ou robotique. | | | | |
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| hommes | | | Dès qu'on oublie le souci du ventre, on se désintéresse du chantre. Le souci du beau ne concerne plus que ceux qui inventent leurs propres soifs inextinguibles. « Le savoir produisant le bien, qui produisait le beau, tandis que le sacré illuminait toute chose ; voici la nouvelle barbarie : l'explosion scientifique et la ruine de l'homme » - M.Henry. Quand le champ du possible s'élargit, le chant de l'invisible s'assourdit. Jamais le besoin de l'inutile ne fut si moribond. « L'amphore, qui refuse d'aller à la fontaine, mérite la huée des cruches » - Hugo - vous comprenez maintenant l'orgueil de ce récipient exhibant les mêmes performances que la cruche. | | | | |
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| hommes | | | L'imprécation et la revendication ne sont jamais poétiques, mais c'est dans leur piège que tombent tant de poètes, avant de supplier la foule ricanante : « Je cesse d'accuser, je cesse de maudire, mais laissez-moi pleurer » - Hugo - le plus souvent, il est trop tard, pour attirer des sympathies, - la réputation de bouffon te restera collée. | | | | |
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| hommes | | | Deux contenus possibles de la vie, difficilement compatibles : le progrès ou l'intensité, la bougeotte des yeux ou l'immobilité du regard, l'agora surpeuplée ou les ruines solitaires, l'esprit affairé ou l'âme éblouie. Ou bien « notre vie est un voyage, dont le guide est l'idée » (Hugo), ou bien notre vie est une féerie intérieure, dans laquelle se perdent, s'abandonnent, se soutiennent et se relèvent des images et des idées. | | | | |
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| hommes | | | Chez Hugo, des personnalités, humbles et inimitables, parlent et agissent au nom des valeurs universelles nobles ; chez Stendhal, des personnalités pseudo-exceptionnelles s’attachent à l’universel dominant, banal, grégaire et se sentent héros. | | | | |
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| hugo v. | | | Au-dessus de l'équilibre, il y a l'harmonie ; au-dessus de la balance il y a la lyre. | | | | |
| | hommes | | | Je reste seul avec cette recette et je deviens poète ; je la porte aux autres et je deviens cynique ou démagogue. Un jour, il faudra choisir entre solitude musicale ou multitude sépulcrale : « On finira par avoir assez du cynisme, et on voudra vivre musicalement » - Van Gogh - le cynisme, lui, peut être musical, c'est le bruit mécanique, équilibré et cadencé, qui étouffera la musique. | | | | |
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| intelligence | | | Les acrobaties verbales dont les creux font leur miel : rien n'est tout (polyphonistes), rien n'est pas tout (anti-néantistes), tout est rien (nihilistes), tout n'est rien (fragmentaires), tout n'est pas rien (monistes). On peut même bâtir un étage de plus : « Ce qui ne m'est pas tout, ne m'est rien » - Hölderlin - « Was ist mir nicht Alles, ist mir Nichts ». C'est un autre poète, qui s'avère être meilleur logicien : « Rien n'est rien » (tout est quelque chose), bien que rien n'est pas rien soit encore plus subtil : même l'absence de certaines choses peut servir à éclairer la présence des autres. Pour aggraver ces insipidités, tout en pensant de les épicer, certains y fourrent du vrai : Le Vrai est le Tout (Das Wahre ist das Ganze - Hegel) ou Le Tout est le non-Vrai (Das Ganze ist nicht das Wahre - Adorno). | | | | |
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| intelligence | | | La joie la plus vertigineuse, comme la frustration la plus dévastatrice, viennent du fait, que ni l'intelligence ni le savoir ni le tempérament ni le goût n'apportent rien de décisif au triomphe final du talent. Comment définir le talent ? - le jet inné d'images irrésistibles et le refus inné d'imiter ! L'homme sans talent est jouet des mimétismes. « Un lion qui copie un lion devient un singe » - Hugo. | | | | |
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| intelligence | | | Et la réalité et le rêve mettent à l'épreuve notre esprit et notre âme ; la réalité offre l'horizontalité, et le rêve – la verticalité. L'idéal est de choisir la seconde dimension, puisque « la hauteur des sentiments est en raison directe de la profondeur de l'intelligence » - Hugo. | | | | |
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| hugo v. | | | Changez de feuilles, gardez les racines. | | | | |
| | intelligence | | | Le déracinement m'appartient, d'autres m'effeuillent. Les fleurs me payent les cimes. L'homme est un arbre, irréductible ni à la feuille ni à la racine ; c'est grâce aux feuilles d'inconnues que les hommes réussissent des unifications fécondes ! | | | | |
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| ironie | | | On n'est jamais autant naturel ou libre que sous d'implacables contraintes qu'on s'impose. « La force naît de la contrainte et meurt de la liberté » - de Vinci - « La forza nasce nella costrizione e muore nella libertà ». La force inemployée, appelée ironie, serait-elle la liberté intérieure ? « C'est à l'ironie que commence la liberté » - Hugo. Le sérieux n'est pas seulement le premier ennemi du bonheur, il l'est aussi de la vraie liberté, de la liberté ludique. « Le sens de l'ironie est une forte garantie de liberté » - Barrès. | | | | |
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| ironie | | | Il n'y a que ton étoile qui peut te combler aussi bien par une lumière, qui te fait ouvrir les yeux, et par des ténèbres, qui te les font fermer au bon moment. « Cette obscure clarté, qui tombe des étoiles » - Corneille. Rebondissant en obscurité ostentatoire (telles les valeurs somptuaires valéryennes, opposées aux valeurs fiduciaires) et remontant au ciel. L'état d'âme embue l'œil, l'état d'esprit le dissipe et dessèche. « Dieu, ce mot ténébreux, gonflé de clarté » - Hugo. | | | | |
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| ironie | | | Par son manque de bon goût, l’Angleterre contamine les étrangers qui s’y installent : Hugo, à Guernesey, choisit une maison absolument insignifiante et y amoncelle des meubles horribles ; le spiritisme devient son obsession, qu’il exerce avec le plus grand sérieux. | | | | |
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| mot | | | Quand le rêve l'emporte sur le mot, on préfère la montagne à l'arbre, la hauteur à la vie. Lorsqu'ils s'équilibrent, on trouve de l'arbre à chaque cime : au mont des Oliviers ou à l'Ararat - l'olivier, à l'Olympe ou au Parnasse - le laurier, au Sinaï - le buisson-ardent, au Golgotha - la croix. Quand le mot, seul, triomphe, il fait éclore le rêve - dans le vide : le mont de Sisyphe, l'élévation du mot-pierre à une hauteur, le désintérêt du mot-brique et encore plus du mot-édifice. « La pensée est le labeur de l'intelligence, la rêverie en est la volupté »*** - Hugo. Il faut alterner en nous la veille et le rêve, le philosophe et le poète (Platon). | | | | |
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| mot | | | L’insupportable profanation du mot rêve (Traum, dream) dans l’application à nos hallucinations nocturnes ! Pour m’en réconcilier, je renverserais la phrase de Hugo, en disant que le sens de notre existence consiste à passer de la vie où l’on s’agite (du sommeil où l’on dort) au rêve immobile (au sommeil où l’on rêve). | | | | |
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| noblesse | | | Le but de l'homme – l'état de grâce ; le moyen – le talent ; la contrainte – l'évitement de la pesanteur. « Délivrer l'homme de son tyran, la pesanteur » - Hugo. La grâce – l'illusion irrésistible d'une hauteur. La bouteille de détresse, au fond de la mer, mon tombeau, contenant mon chant au ciel, mon berceau. | | | | |
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| noblesse | | | La même noblesse anime les grands poètes ; elle peut se manifester par attachement aux mots (le talent et l'âme), aux courants d'idées (l'intelligence et l'esprit), aux formations politiques (le besoin de reconnaissance et la raison). Byron, Chateaubriand, Rilke se contentèrent du premier volet, Hölderlin, Nietzsche, Valéry y ajoutèrent le deuxième, Hugo, Maïakovsky, Aragon – le troisième. Goethe fut le seul à tenter tous les trois, comme notre contemporain, refusant les titres de poète et de héros, R.Debray. | | | | |
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| noblesse | | | En quoi les ruines sont préférables aux casernes et bureaux ? - parce que l'arbre peut y pousser (« l'amour est comme un arbre, il continue souvent de verdoyer sur un cœur en ruines » - Hugo). De plus, la vue de mon étoile, à travers un toit percé, met les ruines au-dessus même de la tour d'ivoire. | | | | |
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| noblesse | | | C’est l’espace qui distingue en nous l’ange de la bête – le premier se trouve en hauteur, le second se cherche en profondeur. Les successions temporelles - la périodicité, la causalité, l’équilibre – sont trop mécaniques : « L'homme est un pendule oscillant de la brute à l'ange » - Hugo. | | | | |
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| hugo v. | | | Ad augusta per angusta.
Vers la hauteur, par des sentiers étroits. | | | | |
| | noblesse | | | Ils sont si étroits, qu'il n'y a pas de place pour le pied ; seul un bon regard s'y faufile. | | | | |
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| proximité | | | Dieu créa des joyaux, l'homme ne crée que des écrins. « La beauté et l'infini veulent n'être admirés que dévêtus » - Hugo – comme le visage humain ou sa source - la face de Dieu. Le beau de la création humaine doit son attrait au drapé du mot, au pli du son, à la bigarrure du pinceau. | | | | |
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| proximité | | | Tout, dans la nature, est une merveille folle ; l’existence de ces mystères impossibles ne peut le devoir qu’à un Créateur fou, mais qui, visiblement, n’existe même pas. On a beau constater que « la nature tout entière nous dit qu'Il existe » - Voltaire, ou proclamer « Il est éperdument ! » - Hugo, Il ne se montra jamais, et nous mourrons, ignorant l’Auteur de nos jours. | | | | |
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| proximité | | | Tant de définitions farfelues de ces termes ‘métaphysiques’ – Grâce et Créateur. Je dirais que la grâce est toute sortie inexpliquée de l’inertie des Lois, et le Créateur est l’auteur anonyme de nos trois hypostases : le Bien mystérieux, le Beau inutile, le Vrai universel. Mais les attribuer à Dieu : « L'âme, le cœur et l'esprit, c'est la trinité qui est dans l'unité de l'homme comme dans l'unité de Dieu » - Hugo – est un anthropomorphisme gratuit. | | | | |
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| hugo v. | | | La religion n'est autre chose que l'ombre portée de l'univers sur l'intelligence humaine. | | | | |
| | proximité | | | L'ombre est l'élément le plus propice à l'éclosion de vérités, mais aussi, malheureusement, le lieu recherché par la bêtise pour s'adonner au sommeil. | | | | |
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| hugo v. | | | Nos chimères sont ce qui nous ressemble le mieux. | | | | |
| | proximité | | | Crois-tu qu'il y a aussi des réalités dans tes paroles ? Une réalité énoncée est une chimère classée. L'impuissance, l'inertie ou la pauvreté du langage stérilisent une chimère en l'abaissant au statut de réalité, qui ressemble, par définition, à l'espèce, au troupeau. | | | | |
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| hugo v. | | | Cet homme marchait, pur, loin des sentiers obliques, Vêtu de probité candide et de lin blanc. | | | | |
| | proximité | | | Ce qui embellissait un vagabond égaré, ridiculise ceux qui s'attroupent sur les sentiers battus. Ces rôdeurs d'hommes, qui, dès qu'ils sont sûrs de leur probité, s'imaginent, que leurs minables chemins sont droits et que leur vêture malpropre est immaculée ! La honte et la résipiscence nous couvrent de cilices et bures et nous poussent vers les sentiers inexistants. | | | | |
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| hugo v. | | | Nul saint : l'éternité n'a pas de voisinage. | | | | |
| | proximité | | | Même si ta mathématique est fausse, ta vision des bornes est juste : tout homme sera toujours comme la femme de Loth ou le fils de Noé - au-delà d'un point, ils se retourneront et compromettront leur convergence vers l'infini. La faute irrécupérable : croire avoir touché l'infini, tandis que, dans tout son voisinage, tu en es infiniment éloigné. | | | | |
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| russie | | | Le meurtrier de Pouchkine, d'Anthès, l'un des futurs pères de la SNCF (comme Pascal, avec ses omnibus, - celui de la RATP) et la bête noire de Hugo, fut complice de Dumas père, qui emprunta son nom pour Edmond Dantès, cet habile spéculateur, exerçant sa vengeance à coups d'interlopes boursicotiers et recommandant, même dans son testament, des placements à 18% à ses héritiers formés au métier de banquier. | | | | |
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| russie | | | Dans le cadre moderne, on imagine, sans trop de retouches, Goethe ou Hugo. Aucune place, en revanche, pour Pouchkine. Quel rêve déçu : « Pouchkine représente le Russe à son apogée, tel qu'il sera dans deux siècles » - Gogol - « Пушкин - русский человек в его развитии, в каком он явится через двести лет » ! Pouchkine serait aujourd'hui si horrifié par la chute du Russe, qu'il se réfugierait auprès des Tziganes ou des Circassiennes. Aucun poète n'est cependant si adulé dans sa patrie, et si désespérément isolé. | | | | |
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| russie | | | La demande engendre l'offre, ce glacial adage s'applique à la politique et à la poésie avec la même mécanique implacable qu'à l'économie. Mozart, Kant, Napoléon, Hugo furent demandés. La Russie reste la seule exception à cette règle : ni Pierre le Grand, ni Pouchkine, ni Gorbatchev ne furent appelés par personne. Ce sont des miracles, comme tout ce qu'il y a de valable en Russie. | | | | |
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| hugo v. | | | Venue inévitable d'un Spartacus russe. | | | | |
| | russie | | | Il se lèvera avec l'affranchissement d'un verbe fatidique : работать - travailler, verbe, qui enfanta de deux monstres, раб - esclave (remontant, semble-t-il, au Slave) et robot. Mais le Spartacus des robots sera pacifié par un syndicat ou par un conseil d'administration. Avant de sombrer dans une nouvelle superstition d'origine asiatique. | | | | |
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| ortega y gasset j. | | | Rusia y España, dos razas, coinciden en padecer una evidente y perdurable escasez de individuos eminentes.
La Russie et l'Espagne, deux races, qui souffrent d'un manque évident et permanent de personnalités éminentes. | | | | |
| | russie | | | Car l'éminence n'est ni dans le pathos, ni dans l'ethnos, ni dans le cosmos, mais dans le style : de sceptre, d'épure ou de plume. Toutefois, dans ces deux pays se jouent de grandes passions ; le grand style, on le trouve chez Voltaire, Chateaubriand ou Hugo, mais : « En France, les grandes passions sont aussi rares que les grands hommes » - Stendhal – que l’auteur chercha à reconstituer, sans succès. | | | | |
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| solitude | | | Le regard recrée ce dont les yeux fermés rêvent ; les yeux ouverts des moutons ne font que fixer le réel. « La foule a trop d’yeux pour avoir un regard »** - Hugo. | | | | |
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| solitude | | | C’est par un souffle d’inspirations que tu communiqueras avec l’arbre de vie solitaire ; évite d’être « interlocuteur des arbres et du vent » - Hugo – qui sont toujours communs. | | | | |
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| hugo v. | | | La solitude trouble les cerveaux qu'elle n'illumine pas. | | | | |
| | solitude | | | Entre mes quatre murs, l'éclairage de ma solitude est question d'ouvertures : la meilleure lumière vient du toit ouvert au ciel, que mon cerveau sait étoiler ; mais le cerveau pantelant se tourne vers les fenêtres, donnant dans la rue, à court d'illuminations. | | | | |
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| hugo v. | | | Commencer à Foule et finir à Solitude est l'histoire de tous. | | | | |
| | solitude | | | L'épisode Foule prit de telles proportions, exigea une telle ampleur et engagea une telle troupe, que la scène Solitude n'apparaît que lorsqu'on a déjà tiré le rideau. | | | | |
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| hugo v. | | | Dans l'effrayant cachot des nuits, Satan est seul. | | | | |
| | solitude | | | L'homme oublia les chutes, il n'est plus ni ange ni démon, mais paisible robot, dans le sympathique bureau des jours, peuplé d'une foule de ses semblables. | | | | |
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| souffrance | | | La douleur ne rend ni meilleur ni plus profond, mais elle nous laisse un libre choix entre une extrême hauteur et une extrême bassesse. Et la bassesse ressemble si souvent à de la profondeur : « Seule la grande douleur nous contraint à descendre dans notre extrême profondeur » - Nietzsche - « Erst der grosse Schmerz zwingt uns in unsre letzte Tiefe ». Que l'autre refuge, à l'opposé, m'est plus cher : « Souffrons, mais souffrons sur les cimes ! »** - Hugo. | | | | |
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| souffrance | | | De honte d'être hilare, on devient enthousiaste. « La mélancolie est le bonheur d'être triste » - Hugo. | | | | |
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| souffrance | | | L'exil est l'état d'esprit le plus propice à l'écriture libre. Les Psaumes de David, Pétrarque, Dante, G.Bruno, Rilke, Nabokov, Cioran. La paix d'âme étant devenue une patrie sans faille du Français moderne, la perspective d'un exil intérieur n'attire plus que des Descartes et des Hugo. | | | | |
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| souffrance | | | L'art relève le défi des certitudes, que bercent mon enfance, ma patrie, mes expériences. « L'art et l'exil combattent le sort » - Hugo. Il faut s'exiler, ne fût-ce que dans l'art, pour rêver d'une lumière d'au-delà des horizons et ne voir ses propres ombres qu'aux frontières. L'enracinement fermé est canular félon, le déracinement ouvert - défi fécond. | | | | |
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| souffrance | | | Peu soupçonnent, que derrière la banalité de la phrase – la vie est tragique – se trouve la définition même de la tragédie, que formula, génialement, Hugo : « La vie n'est qu'une longue perte de tout ce qu'on aime » ! La baisse d’intensité de ce qui, jadis, nous bouleversait. Et la consolation - un regard fidèle, se substituant à une étoile éteinte. | | | | |
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