| action | | | Près du but, l'artiste vit le vide ou l'impuissance d'une déconcentration ; le vrai bonheur l'accueille dans l'extase des commencements ou dans le vertige du parcours : « Malheur à toute forme de culture, qui indique l'aboutissement, au lieu de faire notre bonheur sur le chemin elle-même » - Goethe - « Wehe jeder Art von Bildung, welche uns auf das Ende hinweist, anstatt uns auf dem Wege selbst zu beglücken » - le chemin des meilleurs est le commencement même. | | | | |
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| action | | | La liberté ne se manifeste que dans ou par la discontinuité ; c'est pourquoi, en fuyant l'inertie, je me retrouve dans le pointillé. Je suis esclave, tant que j'explique le supérieur par l'inférieur (A.Comte), ou vice versa. La liberté se reconnaît dans l'écart par rapport à la raison courante, et Goethe s'y plante complètement : « La liberté n'est rien d'autre que la possibilité d'agir selon la raison » - « Freiheit ist nichts als die Möglichkeit das Vernünftige zu tun » - la tâche du robot ! | | | | |
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| action | | | Le rêve ne peut pas être innocent, il s'y point toujours un état d'âme extatique, coupable, échappant à toute bonne logique acquittante. On s'en tire mieux avec l'action, qui est si souvent le contraire du rêve : « La vraie vie est l'éternelle innocence de l'agir » - Goethe - « Das wahre Leben ist des Handelns ewige Unschuld » - la vie, moins vraie mais plus musicale, se dédie au rêve. Le rêve est un sacrifice, et tout sacrifice est à ta charge, surtout le sacrifice des idées : « Aimer, voici l'éternelle innocence ; la seule innocence, c'est de ne pas penser » - Pessõa. | | | | |
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| action | | | La hauteur du ciel s'offre à tous, mais son appel est perçu de deux manières : soit il fait chercher des chemins et met en marche nos pieds et nos calculs, soit il se transforme en élan et réveille nos ailes et nos âmes. Et Goethe : « Du ciel, en passant par le monde, vers l'enfer » - « Vom Himmel durch die Welt zur Hölle » - parle d'un enfer collectif. Nietzsche voit un ciel et un enfer personnels : « Le sentier vers mon propre ciel passe toujours par la volupté de mon propre enfer » - « Der Pfad zum eigenen Himmel geht immer durch die Wollust der eigenen Hölle », tandis que le ciel, ou Dieu, est toujours commun pour les hommes fraternels. N'est personnel que l'élan, mais il exclut tout chemin. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Der Handelnde ist gewissenlos ; Niemand hat Gewissen des Betrachtenden.
L'action endort la conscience ; rien n'éveille la conscience comme le regard. | | | | |
| | action | | | Dans ce cas, il faut peut-être réhabiliter l'action, puisque la vraie conscience n'est pas celle qui lève le voile mais celle qui rêve la voile. Le regard est le souffle, qui est la raison de la voile. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Der Mensch ist nicht geboren, die Probleme der Welt zu lösen, wohl aber zu suchen, wo das Problem angeht.
L'homme n'est point né pour résoudre les problèmes du monde, mais pour chercher où le problème surgit. | | |  | |
| | action | | | Le problème de l'homme naît, quand un nouveau mystère parvient à le détourner des solutions anciennes des hommes. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | In der Beschränkung zeigt sich erst der Meister.
Le maître est reconnu surtout dans la contrainte. | | |   | |
| | action | | | Les épigones pillent les buts et les moyens. Pour le maître de la forme, la résolution des contraintes dessine mieux le fond qu'une solution sans contraintes. L'art vit de nobles contraintes et meurt de minable liberté. | | | | |
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| amour | | | Chez les écrivains, il y a une énigmatique relation entre la qualité de leurs amours secrètes et le degré de fébrilité de leur style ; mais je ne saurais déterminer où est la cause et où est l'effet. Les amours délicates favoriseraient les classiques (Goethe, Flaubert, Valéry), les amours banales réveilleraient les romantiques (Lamartine, Hugo, Pasternak), les amours vulgaires pousseraient les véhéments (Tolstoï, Nietzsche, Cioran). L'esprit, le cœur ou le corps y sont conducteurs de leurs émois. Mais il semblerait que le plus parfait organe de l'amour fût, malgré tout, l'âme (Goethe serait du même avis) ; et c'est l'exemple unique de Tsvétaeva, qui connut toutes les trois sortes d'amour et n'aima que de l'âme, et qui en est la plus belle et la plus tragique illustration. | | | | |
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| amour | | | Que le délire philogyne des vieux Casanova, Goethe ou Tiouttchev me séduit davantage que ne me convainquent des savantes analyses des misogynes, vautrés dans leur misère sexuelle, tels que Byron, Schopenhauer ou Nietzsche ! Un manque cruel d'ironie, pour bien digérer ses déboires. Un manque, plus cruel encore, d'imagination, pour chanter ce qu'on ne connaît pas. | | | | |
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| amour | | | Dante est dans le regard, Béatrice est dans la hauteur. « L'éternel Féminin nous aspire vers le haut » - Goethe - « Das Ewig-Weibliche zieht uns hinan ». Élever son regard devient question de conservation de l'espèce : « Psyché est fécondée par le regard d'Éros » - Salomé. Heureusement, le vrai regard a une bonne source : « L'amour est le regard de l'âme »*** - S.Weil. | | | | |
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| amour | | | La féminité la plus subtile et attendrissante est dessinée par les plumes les plus volages – Pouchkine, Verlaine, Tolstoï ; chez les prudes et graves, on trouve l'insipidité de la Samaritaine, de la Nouvelle Héloïse, de la Marguerite de Goethe ou de M.Boulgakov. L'authenticité du sensuel est dans la peinture du désir, plus que dans celle de l'objet désiré. | | | | |
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| amour | | | La peinture d'un enfer coule de source, même chez ceux qui ne connurent ni flammes ni honte. C'est le paisible paradis qui se refuse aux pinceaux sans frisson. Celui-ci ne peut venir que de l'amour : Dante fut guidé par Béatrice, Goethe fut l'éternel amoureux, mais Gogol brûla la seconde partie des Âmes Mortes, faute de Muse. La présence de Dieu n'aide que les charlatans. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Himmelhoch jauchzend, zu Tode betrübt ; Glücklich allein ist die Seele die liebt.
Dans la larme sans fond, dans le chant jusqu'aux cieux - Ne connaît le bonheur que le cœur amoureux. | | | | |
| | amour | | | Aimer, ce serait fuir la terre surchargée de mots trop plats ou lourds ; aimer, ce serait briser le silence, sec et neutre, des régions surpeuplées, en jubilant ou en sanglotant. | | | | |
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| art | | | La science : la nature comprise comme un hasard (le Zufällig-Wirkliche de Goethe) ; l'art : l'affabulation ressentie comme un destin. | | | | |
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| art | | | L'écriture est une savante reconstitution d'une tour d'ivoire, à partir des ruines ; une envolée des mots pour freiner la chute des sons ; un poids salutaire pour l'équilibriste indécis de la corde raide ; l'assentiment du regard en dépit du ressentiment des larmes : « Voué au regard, adoubé pour la Tour, ce monde me plaît »* - Goethe - « Zum Schauen bestellt, dem Thurme geschworen, gefällt mir die Welt ». | | | | |
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| art | | | Le secret d'une grande littérature : créer le plus grand écart entre l'auteur et son rêve, et en vivre l'harmonie (Pouchkine ou Goethe) ou le conflit (Cervantès ou Cioran). | | | | |
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| art | | | Demeurer-dans-le-monde (Heidegger - in-der-Welt-Sein) est l'attitude la plus anti-vitale ; rien n'éloigne du monde comme l'art ; rien ne nous y ramène plus sûrement qu'une œuvre d'art (Goethe). Mais la poïésis, réduite au travail sans inspiration, fait qu'on ne prône, aujourd'hui, que l'être-à-l'œuvre (am-Werk-Sein). | | | | |
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| art | | | Tout se réduit au nombre : le fond et la forme, l'intelligible et le sensible, ce qui doit être dit et ce qui doit rester indicible, la science et l'art : « L'art est interprète de l'indicible » - Goethe - « Kunst ist eine Vermittlerin des Unaussprechlichen » - comme la science est interprète de l'intelligible pour le rendre lisible. « L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible »* - Aristote. | | | | |
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| art | | | Les philosophes insensibles à la poésie (les légions de professeurs), ou les poètes impuissants en prose (comme Baudelaire, Rimbaud ou Mallarmé) font douter de l'universalité de leur don. Les poètes complets mettent de la poésie en tout, y compris dans la prose : Shakespeare, Goethe, Pouchkine, Lermontov, Hugo, Rilke, Valéry, Pasternak. La poésie comme genre ayant sombré, la poésie comme tonalité discursive ne peut plus se pratiquer qu'en philosophie. | | | | |
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| art | | | Trois niveaux dans mes exercices littéraires : la parole, l'image, la musique – dire, montrer, chanter. « Nous devrions moins parler et peindre davantage » - Goethe - « Wir sollten weniger sprechen und mehr zeichnen ». Si tu chantes devant Dieu, ne te montre pas ; si tu te montres, ne dis rien aux autres. Le se taire wittgensteinien est au bout de cette exigence. Mais la chute finale est de descendre du silence même – vers l'action. Puisque, aujourd'hui, « l'action a le mot ; si tu as quelque chose à dire – montre-toi et tais-toi ! » - K.Kraus - « die Tat hat das Wort ; wer etwas zu sagen hat, trete vor und schweige ! » - le premier pas, quoique vague, vers la musique. | | | | |
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| art | | | Le pragmatique vise la banalité des fins, le classique préfère la dignité du parcours : « Malheur à la culture, qui nous indique l’aboutissement, au lieu de faire notre bonheur sur la route ! » - Goethe - « Wehe jeder Bildung, welche uns auf das Ende hinweist, anstatt uns auf dem Wege selbst zu beglücken! » - seul le romantique s’enivre du mystère du commencement. | | | | |
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| art | | | Tu ne traduis pas tes états d’âme, tu les réinterprètes ; ni l’authenticité ni la fidélité, mais la créativité ; il s’agit de rendre l’élan et non pas un état ou même une hauteur ; il y faut un esprit maître et non pas une raison servile. Plus l’âme est ardente et perdue, plus froid et concentré doit être l’esprit, pour produire des reflets crédibles. « Si un vertige meut ton cœur et ton esprit – que désirer de plus ! » - Goethe - « Wenn dir's in Kopf und Herzen schwirrt, was willst du Bessres haben ! » - l'esprit déséquilibré créera du bruit plutôt que de la musique. | | | | |
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| art | | | Goethe ne voyait la littérature cosmopolite (et non pas universelle, comme on traduit d’habitude die Weltliteratur) que dans quatre pays européens. Au sens abstrait, cette littérature n’exista jamais ; au sens concret, elle ne pouvait toucher qu’une poignée des polyglottes : ils étaient des milliers au XVIII-e siècle, des centaines – au XIX-e, des dizaines – au XX-e. Au XXI-e, il n’y a en pas un seul. Cette défunte rejoint le néant de Dieu, de la poésie, de la tragédie. Quant aux littératures nationales, en Europe, elles sont toutes sorties de Dante. | | | | |
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| art | | | Goethe - la musique, celle des compositeurs ou la sienne propre, n’est pas son fort ! Nietzsche, Valéry, Pasternak se passionnent pour la musique de leur époque, mais Goethe reste insensible à Mozart et Beethoven. Le sérieux tue non seulement le bonheur, mais aussi les pensées et le style. | | | | |
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| art | | | On ne trouve de vrais rêveurs que chez Héraclite et Platon, Goethe et Byron, Dostoïevsky et Nietzsche ; tous les autres, avant, pendant ou après ceux-là, y compris leurs épigones, ne peignent que des bavards réalistes ou des pédants abstractionnistes. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Es ist mit Meinungen, die man wagt, wie mit Steinen, die man voran im Brette bewegt ; sie können geschlagen werden, aber sie haben ein Spiel eingeleitet, das gewonnen wird.
Une pensée risquée peut être un dé sur le tapis ; il peut être perdant, mais il entame un jeu gagnant. | | |  | |
| | art | | | « Son système est peut-être faux ; mais en le développant, il s'est peint lui-même au vrai » - Rousseau. Comment savoir où il faut vivre d'enjeux et où - du jeu lui-même ? Vaincre la contrainte d'une belle règle ou se paralyser dans l'admiration d'un bel enjeu ? | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Am Ende soll die Empfindung, in der Mitte die Vernunft, am Anfang der Verstand vorwalten.
À la fin doit régner la sensation, au milieu - l'esprit, au début - la raison. | | | | |
| | art | | | C'est le contraire de ce que clame le poète : la sensation le met en mouvement, au milieu gouverne la raison et à la fin, se dégage l'esprit. L'essentiel est toujours joué au commencement. | | | | |
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| bien | | | Ce qui me rendit le Bien sujet digne de curiosité, c'est l'unique cafouillage, chez les sages, pour le définir : « la connaissance des choses » - Sénèque ; « ce qui est utile » - Spinoza ; « ce qui élève et valorise » - Goethe. Mais je ne peux pas le voir comme « ombres furtives, accablements humides, nuages fugitifs » - Nietzsche - « Zwischen-Schatten, feuchte Trübsale, Zieh-Wolken ». | | | | |
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| bien | | | Le mal se nourrit de toute action ; le seul moyen de l'épuiser est de ne jamais lever le bras. L'homme est à l'opposé de Méphistophélès (« Une partie de cette force, qui veut toujours le mal, et fait toujours le Bien » - « Ein Teil von jener Kraft, die stets das Böse will und stets das Gute schafft ») - il est l'un irréductible qui, en même temps, veut le Bien et fait le mal. Le faire est le mal, et le désirer est le Bien. | | | | |
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| bien | | | Dans notre conscience, il n’y a rien de plus vivant que le sens du Bien, qui trouble notre cœur, sans lui donner la moindre indication des chemins ou des finalités, que ce Bien devrait adopter. Il est souhaitable peut-être, que les bras de l’homme d’action tâtonnent, en les prospectant ; mais l’homme du rêve n’a rien à y trouver, et le créateur encore moins. « Si le grain ne meurt… » - Goethe - « Stirb und werde ». - désigne la résignation de ne pas savoir traduire la voix du Bien en chant du Beau, et que Nietzsche place au-delà du Bien, en cherchant à munir le devenir créateur - de l’intensité de l’Être immuable. | | | | |
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| cité | | | Le hasard et la force brute désignaient, naguère, le gagnant : « de troubles appels à de troubles actions gouvernent le monde » - Goethe - « verwirrende Lehre zu verwirrendem Handeln waltet über die Welt ». Aujourd'hui - l'algorithme et la force élaborée. Sur l'échelle du bien, cette distinction est toujours une chute. Et c'est pourquoi, aujourd'hui, avec les meilleurs, surchargés de savoir et d'intelligence, elles sont si retentissantes. « On ne peut que déchoir, quand on attrape un moral de vainqueur »** - R.Debray. | | | | |
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| cité | | | Prenez le pur lyrisme du Giaour de Byron, du Diwan de Goethe, de Salammbô de Flaubert, du Khadji Mourat de Tolstoï, - les sots corrects d'aujourd'hui, en les étudiant, y trouvent du soutien aux peuples opprimés et du courroux face aux tyrans et à l'injustice. | | | | |
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| cité | | | L'intérêt social de l'homme éclipsa son intérêt vital ; au mouton, on pouvait faire ressentir ce dernier, pas au robot. « Les hommes sont si bêtes, qu'il faut les traîner vers le bonheur » - Bélinsky - « Люди так глупы, что их насильно нужно вести к счастью ». En plus, ils sont aujourd'hui si intelligents, qu'aucun malheur d'autrui ne perturbe leurs calculs. Goethe : « Comment protéger la foule contre la foule ? » - « Wer beschützte die Menge gegen die Menge? » - est étonnamment grégaire. | | | | |
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| cité | | | J'ai un goût pour la liberté du faible, du vaincu, de l'ange : Leopardi, Lermontov, Cioran. La liberté prônée par Goethe ou Baudelaire, liberté du fort, du gagnant, du démon, Lucifer ou Léviathan, - est grégaire, en seconde lecture. | | | | |
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| cité | | | Il fallut vivre les affreuses ténèbres du XX-ème siècle, pourtant nées des Lumières du XVIII-ème, pour assister à la fin d'une époque, qui dura deux siècles et demis, de Voltaire à Sartre, de Radichtchev à Soljénitsyne, de Goethe à H.Böll, ces hommes, qui portaient en eux toute la douloureuse conscience de l'humanité, et dont la parole portait quelque chose de surhumain. Aujourd'hui, il ne nous restent que des écologistes, des tiers-mondistes, des ardents défenseurs de la croissance ou des farouches adversaires de la discipline budgétaire. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Niemand ist mehr Sklave, als der, der sich für frei hält, ohne es zu sein.
C'est le comble d'esclavage que de se croire libre, sans avoir la liberté. | | |   | |
| | cité | | | Signe d'une liberté intérieure : se sentir enchaîné et ligoté au milieu d'une liberté sans entraves et sans âme. | | | | |
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| doute | | | Du bon usage de la lumière : au lieu de la refléter en faisceaux anonymes, l'emmagasiner et s'en servir, discrètement, pour ornementer mon obscurité intime extériorisable. Le plus bête est de m'identifier aux choses, entre la lumière et les ombres : « Tourné résolument du côté de l'illuminé et non pas de la lumière » - Goethe - « Bestimmt, Erleuchtetes zu sehen, nicht das Licht ». | | | | |
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| doute | | | Le langage n'est jamais neutre ; ma raison ne peut pas se libérer des caprices langagiers, comme elle ne peut pas s'abstraire de mon tempérament et de mon goût. C'est pourquoi l'importance que Goethe ou Heidegger attachent aux remarques pures (qui n'existent pour ainsi dire jamais) est une louange de la pesanteur au détriment de la grâce. | | | | |
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| doute | | | L'édifice artistique débute par la profession d'un style couronnant final, pour se terminer par le test des fondations. Il s'avère, que bâtir sur l'inconnu est le seul moyen d'accéder, un jour, au statut envié de ruines et d'éviter celui de terrain vague ou d'épave. « Mes efforts sur des chantiers échoueront sur un rivage, pour y traîner comme une épave ruinée » - Goethe - « Meine Bemühungen ums Gebäu werden an den Strand getrieben und wie ein Wrack in Trümmern daliegen ». | | | | |
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| doute | | | Se connaître signifierait unité du sujet et de l'objet, projet digne des robots. On peut comprendre ce que fait et même ce qu'est mon soi connu ; l'essence de mon soi inconnu me restera toujours incompréhensible, sans être un objet, il me souffle des projets. Ce qui est proche devient si vite muet : « Je ne me connais pas, et Dieu m'en garde » - Goethe - « Ich kenne mich auch nicht, und Gott soll mich auch davor behüten ». L'autoscopie ne sert à rien, seule l'autoécoute est utile dans la recherche de ta meilleure source, celle de la musique. | | | | |
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| doute | | | Impossible de rendre le mystère au moyen des mots ou des idées ; nous sommes condamnés à le traduire en problème verbal ou en solution sentimentale. « Se donner à l'appel de la hauteur, de la pureté, de l'inconnu, à la traduction du mystère de l'innommé éternel »*** - Goethe - « Ein Streben, sich einem Höhern, Reinern, Unbekannten, enträtselnd sich den ewig Ungenannten hinzugeben ». | | | | |
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| doute | | | Pour Goethe, Husserl, Heidegger, derrière les phénomènes il n'y a rien à chercher. Mais où s'imprime le phénomène ? Sur la rétine ? Dans la conscience ? Au sein d'une représentation ? Dans une réaction réelle ? Toutes ces versions sont envisageables, et leur examen vous fera vite oublier ce misérable phénomène, pour rester avec une loi scientifique, une maîtrise technique, une musique mystique. Le regard surclasse le souci. | | | | |
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| doute | | | Le poète, inondé de lumière, projette des ombres. Dès que lui, dans ses émissions, se met au service des lumières, il devient journaliste. Mais faute de lumière extérieure, il doit éteindre ses ombres.« Si le royaume des ténèbres fait irruption, alors, jetons nos plumes sous la table » - Hölderlin - « Wenn das Reich der Finsternis mit Gewalt einbrechen will, so werfen wir die Feder unter den Tisch », mais ne vous transformez pas en guerriers, ils finiront toujours dans la grisaille : « Pour coudre les pantoufles rien ne vaut les bottes ! » - Goethe - « Aus Stiefeln machen sich leicht Pantoffeln ». | | | | |
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| doute | | | Ta vraie vie commence par la foi passionnée en inexistant. Toute la consolation devant ton extinction finale est dans le maintien de cette foi. « L'homme le plus heureux est celui qui peut relier la fin de sa vie avec son commencement »** - Goethe - « Das ist der glücklichste Mensch, der das Ende seines Lebens mit dem Anfang in Verbindung setzen kann ». | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Eigentlich weiß man nur, wenn man wenig weiß ; mit dem Wissen wächst der Zweifel.
Proprement dit, on ne sait que quand on sait peu. Avec le savoir grandit le doute. | | |  | |
| | doute | | | Le doute ne diminue pas l'édifice du savoir, mais y ajoute de nouveaux étages. C'est grâce aux premiers que la vue, à partir des derniers, est vaste. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Was man nicht weiß, das eben braucht man, und was man weiß, kann man nicht brauchen.
Utile est ce que tu ne sais pas, inutile - ce que tu sais. | | | | |
| | doute | | | La liberté est la nouvelle ignorance. L'esclavage est la vieille certitude. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Es gibt Steine des Anstoßes über die ein jeder Wanderer stolpern muß.
Il est des pierres d'achoppement, auxquelles tout voyageur doit trébucher. | | | | |
| | doute | | | L'abus serait de se livrer sans vergogne à cet exercice de reptation permanente. Une subtilité : reconnaître une pierre d'achoppement dans celle, que vous aviez traitée d'angulaire. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Wo viel Licht ist, ist starker Schatten.
Plus de lumière, plus forte est l'ombre. | | |    | |
| | doute | | | L'ombre préexiste chez le lumineux ; chez le confus les ombres engendrent des ombres. | | | | |
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| hommes | | | L'émotion - devant un paysage, une femme, un tableau - visite tous les hommes (qui ne méconnaissent donc pas « ce qui excelle » - Goethe - « das Vortreffliche nicht anerkennen »), mais c'est un signe de barbarie que de ne pas savoir la traduire en attendrissement ou en humilité. | | | | |
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| hommes | | | Toutes les émotions des hommes se réduisirent aux calculs, y compris les angoisses et les espérances, qui, jadis, n'avaient de sens que face à ce qui n'existait pas ou restait mystérieusement inconnu. La sotte définition de Goethe : « Un bourgeois, gonflé d'angoisses et d'espérances, - à faire pitié ! » - « Ein Philister, mit Furcht und Hoffnung ausgefüllt. Daß Gott erbarm' ! » - décrit non pas une canaille, mais une belle âme, qui, de surcroît, n'existe plus. | | | | |
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| hommes | | | L'utilitaire, au détriment de l'imaginaire, cette dérive peut frapper même les artistes eux-mêmes. Les mêmes sentiments troubles furent à l'origine des boutades platoniciennes contre Homère ou des grognes tolstoïennes contre Shakespeare (Goethe et Nietzsche, deux autres de ses frères, subirent les mêmes foudres – qui aime bien punit bien) : « Une paire de bottes vaut mieux que tout Shakespeare » - Tolstoï - « Пара сапогов ценней всего Шекспира ». Soit on y voit l'ennoblissement du bottier, soit l'un des plausibles ressorts de la plume shakespearienne, la honte. Les besoins des pieds seraient-ils plus vitaux que ceux des narines : « J'ai essayé de lire Shakespeare, et je l'ai trouvé si niais, que j'en ai eu la nausée » - Darwin - « I tried to read Shakespeare, and found it so dull that it nauseated me » - et Wittgenstein fut aussi intraitable, face à l'immoralisme shakespearien. | | | | |
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| hommes | | | Jadis, l'homme fut prédestiné soit à commander, soit à obéir (les incapables de ces deux servitudes furent proclamés inutiles). Aujourd'hui, on a la chance de pouvoir échapper à ce jeu des maîtres-esclaves, en ne commandant ni en n'obéissant qu'à soi-même, dans une verticalité solitaire. Cependant, les hommes acceptent leurs places interchangeables, dans un réseau mécanique, où tout pouvoir et toute obéissance s'exercent dans une horizontalité, c'est à dire dans une platitude. « Au-delà de la hauteur du vrai, du bon, du beau s'étend ce qui nous abaisse – la platitude » - Goethe - « Hinter dem Ewigen des Wahren, Guten, Schönen lag, was uns alle bändigt, das Gemeine ». | | | | |
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| hommes | | | L'aboutissement moderne des idéaux antiques : le stoïcien - homme d'affaires ou écolâtre, le cynique - juriste ou journaliste, l'épicurien - politicien ou artisticule, le sceptique - homme de la rue. Le romantisme aristocratique des Goethe, Byron, Chateaubriand, Leopardi, Lermontov ne fut qu'une parenthèse anti-antique, vite barrée des chroniques intellectuelles. Et en admirant passivement Nietzsche, Ortega y Gasset ou Cioran, je me sens écœuré en compagnie de leurs admirateurs actifs. | | | | |
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| hommes | | | On ne frissonne pas moins, on frissonne moins bien ; aujourd'hui, c'est l'inquiétude pour les choses à avoir qui provoque des frissons de propriétaire ; jadis, c'est le frisson de rêveur qui prédestinait les choses invisibles à être. « Le meilleur lot de l'homme est le frisson » - Goethe - « Das Schaudern ist der Menschheit bester Teil ». | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Das Erste steht uns frei, beim Zweiten sind wir Knechte.
N'est libre que ton premier pas, mais du second tu es l'esclave. | | |    | |
| | hommes | | | Le vrai premier n'a pas de second ; il est lui-même le dernier : « La singularité de toute première fois en fait aussi une dernière fois. Appelons cela une hantologie » - Derrida. La hantise de l'intensité, ou l'art de mise à zéro des compteurs vitaux, nous rendent libres de leur inertie. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Die hohe reich dotierte Geistlichkeit fürchtet nichts mehr als die Aufklärung der unteren Massen.
La haute, la richement dotée spiritualité ne redoute rien davantage que la lumière descendant sur les masses. | | | | |
| | hommes | | | Ce fut une fausse angoisse. La lumière descendit ; ni l'église ni le stade ni l'étable ne s'en plaignirent. On ne doit redouter que la propagation de nos belles ombres dans ce milieu phototrope. | | | | |
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| intelligence | | | Toute compréhension est destruction (des inconnues, des ellipses). C'est pourquoi l'intelligent est entouré de ruines. « Ton obligation - renouvellement des ruines »*** - Goethe - « Der Mensch muß wieder ruiniert werden ». | | | | |
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| intelligence | | | « Les philosophes et les poètes d'origine possèdent la Maison, mais restent des errants sans atelier ni maison »** - R.Char - ruines, le nom que prend la Maison ainsi possédée et qui cesse d'être habitable. Ce qui réside légalement dans le langage porte un nom beaucoup moins ectoplasmique - la vérité cadavérique, réceptacle du désoubli de l'Être. Les ruines, cette vénérable demeure, hantée par le rêve et la caresse, où l'on héberge les invariants de tout mouvement (Goethe, n'y voyant aucune tour debout, ne reconnut pas les ruines discrètes). L'être n'habite que la réalité, il est la chose, qui est source des objets de la représentation et cible des mots du langage. | | | | |
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| intelligence | | | Il faut respecter le calcul en profondeur et vénérer l'heureuse incalculabilité des hauteurs : « sonder le compréhensible et vénérer, dans un recueillement, l'insondable »** - Goethe - « das Erforschliche erforscht zu haben und das Unerforschliche ruhig zu verehren ». | | | | |
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| intelligence | | | La mathématique est la création permanente de nouveaux langages, et sa maîtrise des langages anciens perd vite de son prestige. « Les mathématiques sont la meilleure école d'humilité » - A.Connes. Les extra-terrestres, seront-ils poètes, plutôt que mathématiciens ? - grande question ! Si le langage poétique s'éteignait sur Terre, ces extra-terrestres, face à nos robots mathématisés, auraient la même réaction que Goethe : « Tout symbolisme mathématique est quelque chose de désincarné et triste à mourir » - « Alle Zahlensymbolik ist etwas Gestaltloses und Untröstliches ». | | | | |
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| intelligence | | | Autant les relations spatio-temporelles s'imposent par la réalité même, autant la causalité n'est dictée que par les besoins de la représentation, et elle n'est donc pas apriorique. Une bonne logique ne fonctionne que dans un univers clos, sans événements, tandis que la causalité implique des événements, qui modifient l'univers et désarment la logique non-événementielle (la seule rigoureuse). Goethe le devine, subtilement : « Tout événement ouvre une théorie » - « Jede Tatsache ist schon Theorie ». | | | | |
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| intelligence | | | Tout peut être réduit aux structures, même l'interprétation logique, dont le résultat n'est qu'une unification de l'arbre requêteur avec la représentation. « Tout raisonnement se transforme en une espèce de représentation » - Goethe - « Alles Raisonnement verwandelt sich in eine Art von Darstellung ». La seule logique, qui intéresse Hegel, est la logique spéculative (oxymoron, puisque toute logique est interprétative), qui n'est chez lui que de la représentation structurelle, surtout catégorielle. | | | | |
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| intelligence | | | Deux manières de voir le monde : par l'empreinte fidèle ou par la métaphore déviante, une science définitive ou un art fugitif. L'éternité et l'absolu, contrairement à l'idée reçue, sont le lot des scientifiques et non pas des artistes ; tout ce qui est métaphorique est dans le commencement, le passage, la chute, l'évanescence. Goethe inverse la cause et l'effet : « Tout ce qui est passager n'est que métaphore » - « Alles Vergängliche ist nur ein Gleichnis ». La musique chante l'instant où je vis ; la loi décrit l'éternité où je suis absent. | | | | |
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| intelligence | | | Pour penser, il faut fermer les yeux sur le réel et laisser le regard le réduire à l’idéel – à la musique et à l’admiration. Pour contempler le réel, il vaut mieux oublier la pensée et laisser le cœur se réjouir de l’harmonie incompréhensible du monde. Mais selon Goethe, il faut que « ma contemplation même soit une pensée et ma pensée soit une contemplation » - « meine Anschauung selbst ein Denken und mein Denken eine Anschauung sei ». | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Das Genie kommt mir vor wie eine Rechenmaschine : die wird gedreht, und das Resultat ist richtig ; sie weiß nicht warum.
Je vois le génie comme un ordinateur : il tourne et sort le bon résultat, sans savoir pourquoi. | | | | |
| | intelligence | | | L'ordinateur sait de mieux en mieux ses pourquoi, c'est le qui du génie qui devint introuvable. Les quoi encombrent les bras et les cerveaux ; les raisonnements et sentiments binaires rendent superflues toute métaphore ou toute analogie non plates. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Da grau, mein Freund, ist alle Theorie, Und grün des Lebens ew'ger Baum.
Mon bon ami, la théorie s'effeuille, Sempervirent est l'arbre de la vie. | | | | |
| | intelligence | | | On sait où mène la pratique, en fait d'arbres : le Bouddha, Éden ou le marché de gros en savent quelque chose. Tout arbre est une belle théorie, dont les fleurs poussent, quand on maîtrise les racines, tout en aspirant aux cimes. La théorie est grise, mais les cendres et la poussière le sont davantage. La théorie fait sortir des saisons et habiter un climat, concilier la fleur d'avec le fruit, la racine d'avec les cimes, la feuille d'avec les ramages, la lumière d'avec les ombres. | | | | |
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| ironie | | | Goethe est mort de jeunesse, à 83 printemps ; Pascal est mort de vieillesse – à 39. | | | | |
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| ironie | | | L'ironie est une fuite, une absence. En tant que telle elle fut à l'origine de la plupart des grandes littératures européennes modernes ; en Italie, avec Boccace, elle devint comique, en France, avec Montaigne, - abstraite, en Espagne, avec Cervantès, - chevaleresque, en Angleterre, avec Shakespeare, - charnelle, en Allemagne, avec Goethe, - romantique, en Russie, avec Pouchkine, - humanitaire. Curieusement, à l'opposé, les Romains n’eurent pas leur Socrate, et le glas de l'Antiquité sonna avec les ironiques Lucien et Juvénal. | | | | |
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| ironie | | | Chose, objet, substance, essence, existence, étant, être, l'Un, Dieu - quand je réussis à les traiter, tous, comme des objets, je peux proclamer la mort de Dieu comme l'aboutissement de l'éternel retour du Même, étalé en mille facettes : « Dans l'infini - l'éternel retour du même ; au ciel, le multiple devient l'Un, le système » - Goethe - « Wenn im Unendlichen dasselbe sich wiederholend ewig fließt, das tausendfältige Gewölbe sich kräftig ineinander schließt ». Semper alternum des commencements extérieurs n'est possible que grâce à semper idem des naissances intérieures. | | | | |
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| ironie | | | Lue au second degré, la définition anglo-saxonne : n'est vrai que ce qui marche – est une bonne incitation, pour que mes pensées ou gestes dansent, s'ils ne veulent pas rester dans ce milieu insipide de l'apathique vérité. Et que l'arbre poétique s'occupe davantage des ombres que des fruits, en prolongement ironique de Goethe : « N'est vrai que ce qui est fécond » - « Was fruchtbar ist, allein ist wahr ». | | | | |
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| mot | | | Sans intelligence ni poésie, tout dithyrambe au langage sonne faux et creux. Il n'est juste, à double titre, que chez Goethe et Valéry. | | | | |
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| mot | | | C'est la part du langage qui rend radicalement différentes les facultés représentative et interprétative : la topique se forme hors la langue et la critique se formule dans la langue. Ce que ne comprirent ni F.Bacon : « Inventer ou juger est une seule et même opération de l'esprit » - « what is sought we both find and judge of by the same operation of the mind » ni Goethe : « Tu es l'égal de l'esprit que tu comprends » - « Du gleichst dem Geist den du verstehst ». | | | | |
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| mot | | | Parfois je suis prêt à accepter le terme d’absurde, pour désigner ce que j’appelle consolation, puisque aucune justification cohérente n’en est possible. Mais ma consolation est faite surtout d’une musique, tandis que absurde voulait dire discordant. « Ce mot absurde de consolation – ne pas savoir désespérer est ne pas vivre » - Goethe - « Trost ist ein absurdes Wort: wer nicht verzweifeln kann, der muß nicht leben ». | | | | |
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| mot | | | La vie d’homme - l’un des mots les plus ambigu : soit – sexe, âge, métier, statut, soit – mystère du corps et mystère de la conscience. Goethe, en comparant la vie (verte) et la théorie (grise), a tort dans la première acception, et raison – dans la seconde. | | | | |
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| goethe w. | | | Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß nichts von seiner eigenen.
Celui qui ne connaît point de langues étrangères ne connaît rien de la sienne. | | |  | |
| | mot | | | Car il se trompe sur la nature de ses propres émois, ne devine pas la mystérieuse source de beauté et de puissance du langage et ne découvre pas, que la vraie vie d'une langue est ailleurs. Posséder ou savoir ce qu'on possède, la performance ou la compétence, monogame ou polyglotte. Dans le harem des langues s'apprend le corps inimitable de la parole à caresser. | | | | |
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| goethe w. | | | Ein Wort, wie ein Baum, der jahrelang unfruchtbar war, kann wieder blühen und Früchte tragen.
Le mot, comme un arbre, resté infécond depuis des années, peut refleurir encore et apporter des fruits. | | |  | |
| | mot | | | Le déracinement, l'élagage, la taille profonde font partie du même arsenal de résurrection. Tout ce qui est vraiment vivant peut être comparé à l'arbre. Être artiste du mot est d'en savoir créer les saisons et climats. | | | | |
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| wittgenstein l. | | | Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen.
Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. | | |  | |
| | mot | | | Pour un condisciple de Hitler et un serviteur de Staline (avec d'autres Apôtres de Cambridge), c'est une sage précaution (prise, avec la même élégance, par les camarades Kojevnikov et Hemingway). En sens inverse, le silence, peut-il avoir une projection verbale ? - pour chercher « un mot à l'image du silence » - Celan - « ein Wort nach dem Bilde des Schweigens ». Malheureusement, « là où manque le verbe, parle l'action » - Goethe - « wo die Worte fehlen, spricht die Tat ». La philosophie serait décidément de la poésie : « Le verbe nous manque ; philosopher est dire ce qui ne se laisse pas dire » - Adorno - « Fehlen uns die Worte ; Philosophie ist : sagen was sich nicht sagen läßt » ; tandis que la théologie en serait l'antithèse : « Nous taire, tel est souvent notre devoir ; car les noms divins manquent » - Hölderlin - « Schweigen müssen wir oft ; es fehlen heilige Namen ». Mais pour ceux qui préfèrent la couleur à la géométrie, le chant à la déclamation et la danse à la marche, bref - l'esthétique à l'éthique, il reste d'autres échappatoires à l'angoisse devant le silence. | | | | |
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| noblesse | | | La hauteur habitée ou conquise tournera rapidement en platitude ; elle n'a de consistance que non viabilisée et indomptable : « Le noble esprit, en vain, aspirera à la maîtrise de la hauteur pure » - Goethe - « Vergebens werden ungebundne Geister nach der Vollendung reiner Höhe streben ». | | | | |
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| noblesse | | | Toute âme d'exception est dans un déséquilibre, étant expression d'une seule des extrémités humaines - l'ampleur, la profondeur, la hauteur ; mais notre esprit a besoin d'équilibre, pour agir et créer ; à l'étranger, on découvre l'illusion d'une dimension complémentaire : « En Italie, Goethe cherche la profondeur des liaisons, Nietzsche - la hauteur des libertés » - S.Zweig - « In Italien, Goethe sucht tiefere Zusammenhänge, Nietzsche - höhere Freiheiten » - même si l'auteur s'y trompe de direction recherchée par ses protagonistes. | | | | |
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| noblesse | | | L'éternel retour, c'est la reconnaissance, qu'aucun développement ne rehausse le regard prima facie : « De retour à mes débuts, j'y retrouve la même perplexité » - Goethe - « Da steh' ich nun, ich, armer Tor ! Und bin so klug als wie zuvor ». Le sens, l'invariant, de ce retour est dans la bouche de Faust : « Tu es beau, arrête-toi » (« Verweile doch, du bist schön ») - le sens d'un retour intemporel. Et si la cause finale d'Aristote était la même chose : « La cause finale occupe la place de la beauté dans les êtres, qui en sont pourtant dépourvus » ? | | | | |
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| noblesse | | | Un maître survit aux contraintes des moyens (voir Goethe) et dépérit dans l'ennui des buts ; son soi est mieux visible dans les contraintes projetées que dans les buts atteints. C'est la banale liberté des moyens et la transparence des fins qui tuent toute noblesse. La noblesse commence souvent par la conscience des barreaux de la cage, dans laquelle se tient le soi inconnu et fauve. Chez le sage, c'est à dire chez celui dont le soi vigile valide le soi onirique, cette cage devient Caverne. | | | | |
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| noblesse | | | Finie l'époque, où l'insolence ou l'esbroufe pouvaient ennoblir. La noblesse ne peut se nimber, aujourd'hui, que de résignation solitaire (puisque toutes les « sociétés du renoncement » - Goethe - s'évaporèrent). | | | | |
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| noblesse | | | Le corps part des yeux, l'esprit – des choses vues, l'âme – du regard. Trois démarches difficilement compatibles dans l'espace, et que Goethe cherche vainement à fusionner dans le temps : « Né pour voir, préposé au regard » - « Zum Sehen geboren, zum Schauen bestellt ». | | | | |
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| noblesse | | | Deux sortes de noblesse : celle du quoi et celle du comment, la grandeur et le style. Aucune grandeur ne rattrape les lacunes de style, mais la force d'un style peut pallier le manque de grandeur. « Scrute le quoi, mais davantage le comment » - Goethe - « Das Was bedenke, mehr bedenke Wie ». | | | | |
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| noblesse | | | Même la sagesse de la vie peut se formuler en tant que solution - en évaluer le prix, en tant que problème - réfléchir sur sa valeur, en tant que mystère - vibrer de son intensité (Nietzsche, la finalité), de ses vecteurs (R.Debray, les moyens) ou du vertige de sa hauteur (moi, la contrainte). La plupart des sages s'arrêtent à mi-chemin : « Si tu veux, que la vie te sourie, tu dois la doter d'un bon prix » - Goethe à Schopenhauer - « Willst du dich des Lebens freuen, so musst der Welt du Werth verleihen ». | | | | |
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| noblesse | | | La minable recette stoïcienne : « Une intensité permanente brise l'élan de l'esprit » - « Animorum impetus assiduus labor frangit » - contamina des romantiques : « La hauteur nous attire, et non les marches ; les yeux fixés sur la cime, nous traînons dans la platitude » - Goethe - « Die Höhe reizt uns, nicht die Stufen ; den Gipfel im Auge, wandeln wir gerne in der Ebene » - vous renoncez à l'intensité, vous voilà dans la lourdeur. La hauteur attire surtout ce qui est impondérable. | | | | |
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| noblesse | | | Vivre dans une servitude essentielle est signe d'un homme d'exception. Non pas parce que « homme noble aspire à une loi » (Goethe), mais parce que la loi noble ne s'inspire que du rêve et ne respire plus au sein des actes. Dis-moi à quelle noble servitude tu te soumets, je te dirais de quelle vulgaire liberté - de, pour ou dans - tu peux te passer. | | | | |
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| noblesse | | | La noblesse n'a pas besoin de négations, pour se réveiller ; un nouvel et monumental acquiescement y est plus propice. « Tout ce qui est noble a l'air de dormir, avant d'être défié par une contradiction » - Goethe - « Alles Edle scheint zu schlafen, bis es durch Widerspruch herausgefordert wird ». La noblesse a le courage ou la sagesse de ne pas abandonner la position couchée, dans laquelle non seulement on rêve, mais aussi accueille l'amour et la mort. | | | | |
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| noblesse | | | La même noblesse anime les grands poètes ; elle peut se manifester par attachement aux mots (le talent et l'âme), aux courants d'idées (l'intelligence et l'esprit), aux formations politiques (le besoin de reconnaissance et la raison). Byron, Chateaubriand, Rilke se contentèrent du premier volet, Hölderlin, Nietzsche, Valéry y ajoutèrent le deuxième, Hugo, Maïakovsky, Aragon – le troisième. Goethe fut le seul à tenter tous les trois, comme notre contemporain, refusant les titres de poète et de héros, R.Debray. | | | | |
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| noblesse | | | L’ivresse comme départ d’une écriture et arrivée d’une lecture, maîtrise concentrée et consolation dissipante, - ce moyen poétique, pour atteindre un but philosophique. « Il n’y a de vraie jouissance que là où il faut commencer par avoir le vertige »** - Goethe - « Es ist ja überhaupt kein echter Genuß als da, wo man erst schwindeln muß ». | | | | |
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| noblesse | | | Dans le domaine intellectuel, la grandeur est de savoir commencer et de savoir garder un élan vers des cibles inaccessibles. Et dans le mot paradoxal de Goethe : « Tu gagnes en grandeur, si tu ne peux pas aboutir » - « Daß du nicht enden kannst, das macht dich groß » - il faut remplacer peux par veux. | | | | |
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| noblesse | | | Nous sommes là pour agir (vivre – la pratique) ou pour créer (rêver – la théorie) ; le lointain anime le second, le proche guide le premier. Mais, tout de même, Goethe exagère : « L’esprit, qui tient au plus proche, avec un motif pratique, est ce qu’il y a de plus sublime au monde » - « Der Geist, sich in praktischer Absicht ans Allernächste haltend, ist das Vorzüglichste auf Erden », puisque des motifs pratiques sont en bas et les motifs théoriques - en haut. Le sublime fuit les profondeurs et se réfugie en hauteur. | | | | |
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| noblesse | | | Vécu au passé et remémorisé, même le réel devient rêve ; et le but de tout rêve est de nous redonner le goût de la hauteur. « Les reflets répétés du passé maintiennent celui-ci non seulement vivant, mais élèvent la vie à une hauteur encore plus vertigineuse »*** - Goethe - « Die wiederholten Spiegelungen erhalten das Vergangene nicht allein lebendig, sondern emporsteigen sogar zu einem höheren Leben ». La seule consolation crédible vient de ces souvenirs revigorants. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Für jeden Menschen kommt der Zeitpunkt, von dem an er wieder ruiniert werden muß.
Pour tout homme vient l'heure, où il doit, de nouveau, retourner dans ses ruines. | | | | |
| | noblesse | | | Regretter l'édifice écroulé ou saluer l'appel de l'étoile ? « L'homme est un dieu en ruines »** - Emerson - « A man is a god in ruins ». Bénies ruines, que deviennent les temples ou les tours d'ivoire, à l'annonce de la mort de Dieu (Nietzsche) ou de la mort de l'homme (Kojève ou Foucault) ou, le mieux, de ta propre mort (H.Broch de la Mort de Virgile). | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Traulich und treu ist's in der Tiefe ; falsch und feig ist was oben sich freut.
La profondeur rassure et caresse ; toute joie en hauteur est fausse et lâche. | | |  | |
| | noblesse | | | Toute profondeur est promise à la machine. L'homme ne s'affirme qu'en hauteur du rêve, qui ne peut être que faux et lâche. Quand il s'enhardit, il devient un projet rassurant, vrai et minable. « Tous les lâches sont romantiques, ils s'inventent des vies à reculons, pleines d'éclats » - Céline - pleines d'ombres ! Les hautes ombres, romantiques et solitaires, sont plus fidèles à notre soi inconnu que les lumières, mécaniques et profondes, que notre soi connu partage avec tout le monde. | | | | |
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| proximité | | | Certes, Dieu jette plus d'ombres dans la nature qu'Il n'en projette de lumière. Mais la philosophie a aussi peu de chances de L'en chasser - ou de Le tuer ! - que la géométrie - d'éliminer la beauté de la peinture, l'acoustique - de la musique, la grammaire - de la poésie. La raison, sans l'étonnement primordial, n'est plus de la raison, ou bien de la raison basse, tandis que « la plus grande hauteur accessible à l'homme, est l'étonnement » - Goethe - « Das Höchste, wozu der Mensch gelangen kann, ist das Erstaunen ». | | | | |
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| proximité | | | La musique est le plus noble des arts, puisqu'elle déchaîne l'émotion la plus irrésistible non pas dans la sensation de proximité, de familiarité ou de connivence, mais dans celle d'étrangeté, d'éloignement et d'incompréhension. « Se vouer au lointain par la proximité »*** - Heidegger - « In-die-Nähe-kommen zum Fernen » - est noble, mais utopique. Et ce n'est qu'au-dessus de l'art, dans l'amour peut-être, qu'on rêve de vivre « ce néant délicieux : la proximité du lointain et le lointain de la proximité » - Goethe - « ein reizendes Nichts : die Nähe der Ferne und die Ferne der Nähe ». | | | | |
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| proximité | | | Le regard crée des unités de mesure et une proximité astrale ; les yeux mesurent les distances et l'éloignement terrestre. « Mon regard est pour le lointain, et mes yeux – pour le prochain » - Goethe - « Ich blick' in die Ferne, ich seh' in der Nähe » - le regard serait le refus de la familiarité et l'art de rendre lisible même l'invisible. | | | | |
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| proximité | | | Au commencement était le couple l'Amour - la Haine (Empédocle), la Monade (Pythagore ou Leibniz), l'Apparence (Pyrrhon), l'Idée (Platon), le Verbe (le Christ), l'Action (Thomas l'Aquinate, Goethe, après avoir opté pour le Sens et la Force, Valéry, avant de lui préférer l’Étrange, Proudhon), la Violence ou la Lutte (Pascal ou Darwin), le Soupçon (Marx et sa Classe, Freud et sa Perversion, Nietzsche et sa Musique, Berdiaev et sa Liberté), la Donation (Gegebenheit de Heidegger), l'Étrange (à partir des fantômes et spectres : « Shakespeare genuit Marx, Marx genuit Valéry » - Derrida). Chacun au commencement de sa discipline : l'Idée (le Nombre, la Monade, la Force) - pour représenter le mystère, le Verbe (l'Amour, le Sens, la Donation) - pour formuler les problèmes, l'Action (la Haine, la Lutte, le Soupçon) - pour tester les solutions, la Perversion et l'Étrange - pour confondre ou embellir les passages de l'un à l'autre de ces trois niveaux. | | | | |
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| russie | | | Dans le cadre moderne, on imagine, sans trop de retouches, Goethe ou Hugo. Aucune place, en revanche, pour Pouchkine. Quel rêve déçu : « Pouchkine représente le Russe à son apogée, tel qu'il sera dans deux siècles » - Gogol - « Пушкин - русский человек в его развитии, в каком он явится через двести лет » ! Pouchkine serait aujourd'hui si horrifié par la chute du Russe, qu'il se réfugierait auprès des Tziganes ou des Circassiennes. Aucun poète n'est cependant si adulé dans sa patrie, et si désespérément isolé. | | | | |
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| kraus k. | | | Die Pickelhaube ist gebildeter als der Kosak ; aber er lebt nicht so weit von Dostojewski wie sie von Goethe.
Le casque à pointe est plus cultivé que le cosaque ; mais celui-ci ne vit pas aussi loin de Dostoïevsky que celui-là de Goethe. | | | | |
| | russie | | | Le progrès, c'est l'éviction de la nature, du bon sauvage. L'écrivain russe est avec la nature ; l'ours, la colombe, le loup se brodent sur ses pages plus souvent que les affinités électives. J'ai la conscience de me fourvoyer dans des chemins, étrangers pour le pèlerin russe. Je suis un exilé de toutes mes patries, même littéraires. | | | | |
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| steiner g. | | | The reserves of irony, in Akhmatova, in Mandelstam, in Pasternak, have been preserved in the personal memory. Stalin condemned a poet for having cited Shakespeare, the Prague police killed a philosopher because he had taught secretly Plato.
Les réserves d'ironie d'Akhmatova, de Mandelstam, de Pasternak ont été préservées par la mémoire individuelle. Staline condamnait un poète pour avoir cité Shakespeare, la police pragoise tuait un philosophe, parce qu'il avait clandestinement enseigné Platon. | | | | |
| | russie | | | Pourquoi les voir sous cet angle sinistrement pittoresque ? Ces auteurs sont de la famille de Yeats, Valéry et Rilke. Quand est-ce que vous les envisagerez, comme vous voyez Shakespeare sans Elizabeth, J.Racine sans Louis XIV, Goethe sans le grand-duc de Weimar ? Et c'est bien en Russie soviétique que Shakespeare et Platon eurent les plus gros tirages ! | | | | |
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| solitude | | | L'hypocrisie architecturale du solitaire : il fuit la caverne, surpeuplée à son goût ; continue à ignorer fenêtres et portes ; garde le souvenir d'une lumière et des murs ; n'a pour limitrophes que les étoiles et se découvre la mémoire d'une tour d'ivoire abolie, qu'il proclame ruines, si elles en préservèrent l'acoustique : « L'architecture est une musique pétrifiée » - Goethe - « Architektur ist versteinerte Musik ». | | | | |
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| solitude | | | On se précipite dans la solitude, lorsqu'on entend le troupeau - la foule de la Johannes-Passion - ou lorsqu'on s'écoute soi-même - Il Vecchio Castello, la Pathétique, Dostoïevsky, Nietzsche. Après réflexion - l'appel du Concerto №1 ( Allegro Maestoso) de Paganini, Goethe, Tolstoï, Valéry - on se met à chercher son prochain, mais on ne l'atteint plus, on est hérissé d'éloignements, dans lesquels on n'entendra que le Dieu du Concerto №21 ( Andante) de Mozart. | | | | |
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| solitude | | | Être plus près du beau ne veut pas dire être plus noble. Et, à voir de plus près, l'esprit est peut-être plus aristocratique que l'âme. Sur une île déserte, le grand et le noble pourraient garder leur valeur pour l'esprit, tandis que le sacré se volatiliserait. « Qu'est-ce que le sacré ? C'est ce qui unit les âmes » - Goethe - « Was ist heilig ? Das ist's, was viele Seelen zusammenbindet ». | | | | |
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| solitude | | | Le fruit invite la famille, l'ami, le collègue ; la fleur n'est à sa place que seule : dans une main d'amoureux, dans une prairie, sur une tombe. La rose n'est à personne - Niemandsrose ou Роза-Никому (Celan et Mandelstam) ; « le rêve de personne sous tant de paupières » - Rilke - « Niemandes Schlaf unter so viel Lidern ». Elle est un climat, elle fait oublier les saisons : « La rose meurt hors saison » - Horace - « rosa sera moretur ». Bref, une rose impossible : « Toujours improbable paraît la rose » - Goethe - « Unmöglich scheint immer die Rose ». | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Die Einsamkeit ist eine schöne Sache, wenn man mit sich selbst in Frieden lebt.
La solitude est délicieuse, quand tu vis en paix avec toi-même. | | | | |
| | solitude | | | Les classiques ne comprirent jamais ni la solitude ni le soi inconnu. Au fond de moi-même surgissent tant d'appels, de sensations, d'interrogations, intraduisibles dans mes langages d'actes, d'images, d'idées, de théories, et cet échec, ou plutôt cette défaite, est le fait le plus fondamental de mon mûrissement. Pourtant, ce sont les voix les plus authentiques, irréfutables. Le romantisme commence par l'impossibilité d'une paix avec soi-même et par la découverte de la solitude absolue de son soi inconnu. | | | | |
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| souffrance | | | La fonction musicale de la philosophie : composer une mélodie vitale à partir des hurlements aigus de la douleur et de la plate gravité de la raison : « Là où tu restas muet de douleur, Dieu m'envoya le don de dire ce que je souffre » - Goethe - « Und wenn der Mensch in seiner Qual verstummt, - gab mir ein Gott zu sagen was ich leide ». Mais dans ce que le philosophe dit, la douleur et la raison doivent nous chanter ou nous faire chanter. | | | | |
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| souffrance | | | À ne regarder les choses que pour les décrire, on finit par ne plus avoir de regard. « L'homme rêve, afin de ne pas perdre le regard »**** - Goethe - « Der Mensch träumt nur, damit er nicht aufhöre, zu sehen ». | | | | |
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| souffrance | | | J'ai honte des jérémiades de ma première jeunesse, qui ressemblent tellement aux récits kierkegaardiens de ses tourments réels, - le sérieux rend mesquine toute peine authentique. En revanche, quel plaisir de suivre les souffrances, fausses et maniérées, des personnages de Goethe ou de Rousseau, où tout est … convaincant, séduisant. La souffrance qu'on vénère ne doit pas toucher terre. | | | | |
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| souffrance | | | L'équilibre de Goethe, l'héroïsme beethovénien, c'est juste bon pour passer quelques soirées de velours ou de morgue, mais c'est l'immense frisson éperdu de Nietzsche, honteux devant ses déroutes en poésie et en musique, qui me met dans une véritable tonalité artistique, celle d'une débâcle finale, belle et horrible. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Armut selbst macht stolz, die unverdiente.
Même la misère rend fier, quand elle n'est pas méritée. | | |  | |
| | souffrance | | | Dès qu'on pèse les mérites, on est dans l'aigre ressentiment ou dans l'insipide bonne conscience. La fierté est toujours dans l'acquiescement, même si le sel ou la bile s'y mêlent. « L'acquiescement transforme malheur en bonheur » - H.Hesse - « Unglück wird zu Glück, indem man es bejaht ». Il serait utile de se souvenir de la grande leçon nietzschéenne sur la libération du ressentiment (Erlösung von der Rache) de l'homme qui souffre. | | | | |
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| beethoven l. | | | Durch Leiden Freude.
Par la douleur vers la joie. | | | | |
| | souffrance | | | On apprend aujourd'hui toutes les langues étrangères, y compris celle de la musique, - sans douleur. L'effort humilie l'essor. Et l'on ne retire de cette sueur aseptisée que … de la connaissance : « Par la souffrance – à la connaissance » - Homère (comme le voient aussi le Prométhée d'Eschyle, le Faust de Goethe et le Manfred de Byron). | | | | |
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| vérité | | | Se soucier du vrai, c'est se soucier du soi connu : « Si je connais ma relation à moi-même, je l'appelle vérité » - Goethe - « Kenne ich mein Verhältnis zu mir selbst, so heiß ich's Wahrheit ». Là où commence la foi, initiatrice et invérifiable, gît mon soi inconnu, dont je ne vois aucune relation traçable. | | | | |
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| vérité | | | Une fois éliminés les faits, c’est-à-dire les vérités, que reste-t-il de ton récit sur ta jeunesse ? - des idées et de la poésie, puisque, avec le temps, les faits perdent de leur poids et de leur éclat. Mais les idées finissent toujours par rejoindre les fonds communs ; seule la composante poétique peut garder des échos inimitables de ta vie passée. Goethe, intitulant son auto-biographie Poésie et Vérité (Dichtung und Wahrheit) n’en était pas encore tout-à-fait conscient. | | | | |
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| vérité | | | Le génie crée une toile de fond, un langage, tissé par un nouveau style ; tandis qu’au premier plan doivent palpiter des états d’âme exceptionnels et non pas végéter des vérités, tôt ou tard communes. « La première et la dernière exigence qu’on adresse au génie est l’amour de la vérité » - Goethe - « Das Erste und Letzte, was vom Genie gefordert wird, ist Wahrheitsliebe » - il n’y a qu’une poignée de belles vérités, qui méritent une passion ; l’immense majorité ne méritant qu’un intérêt pragmatique. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Es ist so gewiß als wunderbar, daß Wahrheit und Irrtum aus einer Quelle entstehen ; deswegen man oft dem Irrtum nicht schaden darf, weil man zugleich der Wahrheit schadet.
C'est banal et merveilleux, mais la vérité et l'erreur coulent d'une même source ; c'est pourquoi, souvent, on ne peut pas nuire à l'erreur, sans nuire, en même temps, à la vérité. | | |  | |
| | vérité | | | Cette source s'appelle langage (et non pas sagesses immortelles quelconques), et en me tenant à la routine du verbe, dans des eaux croupissantes, je ne ferais que maintenir en vie des vérités cadavériques. Plus profondément je trouble la source, plus haut sera l'envol de ce qui cesse d'être une erreur, pour créer de nouvelles vérités, auprès d'une nouvelle source. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Schädliche Wahrheit, ich ziehe sie dem nützlichen Irrthum vor. Wahrheit heilet den Schmerz, den sie in uns erregt.
Une vérité nocive ? - je la préfère à une erreur utile. Une vérité guérit la douleur qu'elle provoque. | | |  | |
| | vérité | | | Une erreur de rêve l'entretient ! Vivre sans douleur - le premier but des mornes chercheurs de vérités. La vie est faite d'aspérités et d'effervescences, plus souvent inventées que véridiques. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Das Wahre ist gottähnlich ; es erscheint nicht unmittelbar.
La vérité est comme Dieu : elle ne se montre pas à visage découvert. | | | | |
| | vérité | | | L'homme démasqua ses manigances et s'inventa quelques criardes Apparitions des vérités premières, coulées en lettres de bronze et dépourvues d'esprit. Le vrai, il a bien nos yeux, mais il n'a toutefois pas notre visage. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Das Wahre ist einfach und gibt wenig zu tun, das Falsche gibt Gelegenheit, Zeit und Kräfte zu zersplittern.
Le vrai est simple, pas grand-chose à faire avec ; le faux donne l'occasion de fractionner le temps et l'énergie. | | |  | |
| | vérité | | | C'est la maîtrise qui rend l'idée simple ou complexe. C'est par la compétence en faux qu'on reconnaît l'artiste-maître. La performance du vrai est accessible à tout artisan-apprenti. Le faux est soit viol d'un langage ancien, soit introduction dans un nouveau. | | | | |
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| goethe j.-w. | | | Der Irrtum wiederholt sich immerfort in der Tat, deshalb muß man das Wahre unermüdlich in Worten wiederholen.
L'erreur se répète, immanquablement, dans l'acte. C'est pourquoi on doit répéter, inlassablement, le vrai en paroles. | | | | |
| | vérité | | | L'erreur se glisse aussi aisément dans la parole. Mais, contrairement aux paroles, bon nombre d'actes sont irréversibles. Toute parole est réfutable ou falsifiable, et c'est là son côté créateur. Le solipsisme est stérile puisque irréfutable. | | | | |
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