| action | | | Tout travail d'ascension mène vers la platitude ; seul l'élan vers la chute donne quelque espoir de hauteur. C'est ainsi, par cette « manière inexorable de perdre et de se perdre » (Blanchot), que se rencontrent des esprits philosophiques. | | | | |
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| action | | | L'agir nous oriente vers l'avenir, où s'impatiente notre mort ; l'écrire nous renvoie au passé, où naît la vie. Mais si le temps n'est pour vous qu'une abstraction sans vie, vous direz : « Écrire, c'est ne plus mettre au futur la mort toujours déjà passée » - Blanchot - au lieu de : agir, c'est ne jamais mettre au passé la vie encore à venir. | | | | |
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| art | | | Ceux qui ont beaucoup à dire font, d'habitude, du remplissage de formes, qu'ils ne maîtrisent pas, et une fois le travail accompli, ils éprouvent la sensation de vide ; le maître ne fait que rêver et créer des formes, qui parleront elles-mêmes, et à la fin il éprouve le sentiment de plénitude, car son œuvre aura rejoint la réalité, c'est à dire la perfection. « Écris sous l'attrait de l'impossible réel »*** - Blanchot. | | | | |
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| art | | | Le penchant naturel pour le plongeon dans la profondeur n’est qu’un signe de faiblesse ou de bêtise, puisque l’affleurement à la platitude en sera l’aboutissement final. D’où l’avantage qu’offre le genre aphoristique : « Écrire selon le fragmentaire détruit la surface et la profondeur »* - M.Blanchot. Qui encore saurait entretenir de belles ruines, si ce n'est l'architecte de la hauteur. Le morcellement de châteaux en Espagne produit de basses casernes ; leur concentration, au seul souterrain, permet une succession légitime, par de hautes ruines. | | | | |
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| blanchot m. | | | Écrire, serait-ce devenir lisible pour chacun et, pour soi-même, indéchiffrable ? | | | | |
| | art | | | Tout beau texte devrait se lire comme une traduction des messages d'ailleurs. Les auteurs de discours sont dérisoires ; prête plutôt l'oreille aux interprètes. Mais genre à éviter : la traduction libre sans bonne oreille ni bon regard. | | | | |
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| blanchot m. | | | Le poème est un voile, qui rend visible le feu. | | | | |
| | art | | | Cette obscure clarté, amie du bon regard ! Ce fond inaudible, d'où jaillit la mélodie. La vie serait un feu, dont la musique est un voile. Sans ce voile, le feu n'est que brûlure. Grâce à ses ombres, le poème en fait deviner aussi une lumière. | | | | |
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| blanchot m. | | | Écrire, c'est demeurer en contact avec le milieu absolu, là où la chose redevient image, où l'image, d'allusion à une figure, devient allusion à ce qui est sans figure. | | | | |
| | art | | | L'artiste prouve sa fidélité à ce milieu en se rendant aux frontières du déjà-devenu pour se réfugier dans l'être, dans ce qui est encore sans figure. L'artiste est un Ouvert, vivant de l'attirance de ses limites inaccessibles. | | | | |
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| nietzsche f. | | | Je stumpfer das Auge, desto weiter reicht das Gute ! Daher die ewige Heiterkeit des Volkes und der Rinder ! Daher die Düsterkeit und der dem schlechten Gewissen verwandte Gram der Denker !
Plus grossier est l'œil, plus facile est le contentement ! D'où l'éternelle pétulance du troupeau. D'où la tristesse et cet air ombrageux, proche d'une mauvaise conscience, - du penseur. | | | | |
| | bien | | | La bonne conscience est donnée en prime à tout gagnant de la vie. D'où la lubie du penseur : s'introduire auprès des perdants, pour satisfaire son avidité de neurasthénies, sa volupté de l'échec et sa volonté de capitulation, pour ranimer sa bile dans une écriture du désastre (Blanchot). « Allègre en tristesse, triste en allégresse » - G.Bruno - « In tristitia hilaris, in hilaritate tristis ». L'ignorance étoilée ou « que le penseur rie » - Martial - « ride si sapis ». | | | | |
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| intelligence | | | Le sage sait, que la vraie création est celle d'un langage, dans lequel les réponses soient contenues dans la question. C'est un don beaucoup plus rare que ceux de poser de bonnes questions ou d'apporter de justes réponses. Affaire d'interprètes et de substitutions. La réponse crée une entente mécanique avec la question, mais encore davantage - une attente organique d'un langage, où elle n'en serait plus ; et Blanchot force le trait : « La réponse est le malheur de la question » - elle est son propre malheur ! | | | | |
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| mot | | | La parole et la pensée sont hors de moi, et le chant est en moi ; que, dans des édifices durables, le Dieu de l'horizon et de la profondeur soit mort, ne doit pas troubler le Dieu de la hauteur, éphémère et éternelle, qui est en moi, au fond de mon puits, de mon souterrain ou de mes ruines. Monuments aux morts hantés, monuments aux mots chantés. On chante dans les ruines, on hante les cavernes : « Dans la caverne de Platon nul mot pour signifier la mort » - Blanchot. | | | | |
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| mot | | | Ils croient que leur dit est ce qu'ils pensent, et ils voient dans cet accord une difficulté majeure. Or, c'est une difficulté d'élocution et non de création. L'artiste n'a qu'à bien dessiner les ombres de ses mots, pour que, au-dessus, d'une direction inattendue, se devine la lumière de sa pensée. L'altération crée l'altérité (« La production produit le producteur » - Blanchot). Le sot fait l'inverse. | | | | |
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| blanchot m. | | | Qu'arrive-t-il, lorsqu'on a trop longtemps vécu dans les livres ? On oublie le premier et le dernier mot. | | | | |
| | mot | | | Les livres ne sont plus dépositaires de rêves. On y vit, comme partout ailleurs, dans l'inertie des actes et dans la routine des pensées. L'intermédiaire occultant le primordial. Celui-ci ne se devine plus que dans les yeux amoureux, où surgissent encore les premiers et les derniers sentiments. La dernière source de rêves et de mots irresponsables, donc initiatiques ou testamentaires. | | | | |
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| blanchot m. | | | Le droit de ne pas choisir est un privilège. | | | | |
| | noblesse | | | Cette aristocratie, auto-proclamée et discrète, est experte elle-même en menus à choix multiples et élégants, qu'on ne fait que désélectionner furtivement, sans déclencher le moindre événement, sans souffler sur la chaude aboulie. Même si nous sommes embarqués, plutôt que marquer sur l'axe de notre parcours un point privilégié, par pari, par tri ou par parti pris, donc par Pascal, Descartes ou Leibniz, et aussi extrême que soit cette valeur élue, nous pouvons - notre talent peut ! - créer par-dessus tout cet axe une égale intensité, une polarité assumée, sacralisant l'axe tout entier. Et c'est Nietzsche, le premier, qui le comprit. | | | | |
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| proximité | | | Dans convaincre ou séduire il y a la même volonté d'un contact des épidermes, d'un regard à bout portant. Ne serait-il pas plus noble de se rapprocher par le même fier éloignement des choses, qui méritent qu'on y pose un regard ? « L'éloignement nous rapproche, mais loin de nous »** - Blanchot. | | | | |
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| blanchot m. | | | Le lointain et le proche sont dimensions de ce qui échappe à la présence. | | | | |
| | proximité | | | La présence est dans l'étendue ou la profondeur ; la proximité, comme dans ce compendium, ne s'évalue qu'en hauteur. | | | | |
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| solitude | | | Cultiver l'âtre, au milieu des ruines, mon défi phonétique à l'être (comme le Paraître le fut pour Pyrrhon, le Non-Autre pour le Cusain, le Naître - après Sein und Schein - pour Nietzsche, l'Outre pour Bakounine, comme l'Autre pour Levinas ou le Neutre pour Blanchot). Les contraires logique (le Urteil de Hölderlin), spatial (le néant de Sartre) ou temporel (la Zeit de Heidegger) sont moins chauds et plus ternes. | | | | |
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| pouchkine a. | | | Я жить хочу, чтоб мыслить и страдать.
J'aspire à la vie pour penser et souffrir. | | | | |
| | souffrance | | | « Souffrir et penser sont liés d'une manière secrète » - Blanchot - et ce secret n'est grand que si la souffrance ou la pensée le sont. Souffrir, c'est découvrir en soi des raisons plus fortes que la pensée. La réciproque serait aussi juste : « Plus ta pensée sera profonde, plus haute sera ta souffrance »** - Confucius. Le moi inconnu souffre, le moi connu pense : « Vivre, c'est penser » - Cicéron - « Vivere est cogitare » - disent ceux qui se contentent du connu. | | | | |
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