| action | | | Toute la littérature moderne est dans l'action et l'événement, dont on cherche à extraire une impossible poésie. De même, les boutiquiers seraient poètes de l'échange. Est poète celui qui a envie de repartir de zéro ; toute action est au milieu, jamais au début. Et puisque penser, c'est le parcours et non pas le commencement, l'homme d'action pense plus qu'un homme de rêve. Et Pessõa : « Penser, c'est hésiter. Les hommes d'action ne pensent jamais » - confond penser avec rêver, quoique rêver, ce ne soit pas hésiter, mais être aussi sûr de son rêve que de la réalité. | | | | |
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| action | | | Le rêve ne peut pas être innocent, il s'y point toujours un état d'âme extatique, coupable, échappant à toute bonne logique acquittante. On s'en tire mieux avec l'action, qui est si souvent le contraire du rêve : « La vraie vie est l'éternelle innocence de l'agir » - Goethe - « Das wahre Leben ist des Handelns ewige Unschuld » - la vie, moins vraie mais plus musicale, se dédie au rêve. Le rêve est un sacrifice, et tout sacrifice est à ta charge, surtout le sacrifice des idées : « Aimer, voici l'éternelle innocence ; la seule innocence, c'est de ne pas penser » - Pessõa. | | | | |
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| pessõa f. | | | J'ai triomphé de tout là , où je ne suis jamais allé. | | | | |
| | action | | | Je réserve mes fêtes au pays des rêves, ouvert aux pérégrinations de l'âme, mais vulnérable au piétinement des pieds, y compris des miens propres. Dans l'immobilité je ne triomphe que d'une contrainte, mais dans la défaite finale, au tournant des saisons, je garderai la même intranquillité, cette grâce négative si bien rendue par fluctuatio animae (Spinoza) ou cette pesanteur positive - par uneasiness (Locke). | | | | |
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| pessõa f. | | | Je cultive la haine de l'action comme une fleur de serre. | | | | |
| | action | | | Je préfère cultiver, en plein air, un arbre d'inaction amoureuse, dont l'ombre suffise pour y enterrer l'action haineuse. | | | | |
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| amour | | | Parmi les ignorances étoilées, l’amour occupe la première place : « Celui qui aime ne sait ni celle qu’il aime, ni pourquoi il l’aime, ni ce que c’est que d’aimer » - Pessõa. | | | | |
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| amour | | | Le mystère de la vie est intraduisible en pensées ; quelques étincelles, qui s’en détachent, s’appellent rêve. Avec notre mortalité se produit l’inverse : on aimerait occulter sa certitude, et l’amour serait le seul à le réussir : « L’amour est un fragment mortel de l’immortalité » - Pessõa. | | | | |
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| pessõa f. | | | Autant donner l'amour à la chétive apparence de mon encrier qu'à la vaste indifférence des étoiles. | | | | |
| | amour | | | D'autant plus que, dans de bons encriers, les étoiles se reflètent mieux que dans les yeux sans larme. On sait où mène un amour partagé - que ta page vise non pas la poste, mais une bouteille à jeter à la mer, où te liront les étoiles. | | | | |
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| pessõa f. | | | Je suis de ces âmes, que les femmes disent aimer, et qu'elles ne reconnaissent jamais, quand elles les rencontrent. | | | | |
| | amour | | | Comment, sans la faiblesse de leurs yeux ici-bas, je préserverais la hauteur des rencontres inavouées la-haut ? | | | | |
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| art | | | Ne pas savoir vivre sans écrire - graphomanie ; ne pas savoir écrire sans vivre, c'est-à -dire sans l'envie de rêver, - éthéromanie, nulla linea sine nocte plutôt que « nulla dies sine linea » - Pline l'Ancien. Pessõa : « Mieux vaut écrire que risquer de vivre ; l'écriture est la manière la plus savoureuse d'ignorer la vie » - justifie la graphomanie, qui ignore le ridicule de risquer d'écrire, lorsque aucune saveur vitale n'accompagne la plume. | | | | |
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| art | | | Sans honte ni angoisse de l'auteur, l'art ne serait pas au-dessus des arts décoratifs ; mais, si tu veux faire entendre ta propre voix, il ne doit pas en porter des traces, qui sont toujours communes ; rester aux commencements, dans lesquels, avec la même probabilité, peuvent naître et le bonheur et la douleur du lecteur. Seul ton talent devrait en être responsable, l'intensité, non pas la véracité. « Nous ne possédons pas l'art. Nous n'avons à le payer ni par des souffrances, ni par des remords » - Pessõa. Parfois, chanter le rêve, c'est inviter à dormir. | | | | |
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| art | | | Dans l’écriture, trois exigences : la forme (envelopper les commencements), la contrainte (ne pas développer les perles), le fond (échapper au désespoir de l’espace présent, espérer dans l’intemporalité). « De tout, il restera trois choses. La certitude que tout était en train de commencer. La certitude qu'il fallait continuer. La certitude que tout serait interrompu avant d'être terminé »** - Pessõa – ces certitudes devraient s’appeler, respectivement, - intuition, illusion, avertissement.. | | | | |
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| pessõa f. | | | Il faut être insensible pour être meneur d'hommes. Pour dominer, il faut être joyeux, car il faut être sensible pour être triste. | | | | |
| | cité | | | Le triste fait la gueule d'autant plus désespérément, que les gueules joyeuses des chefs de file moutonniers le cernent désormais de toute part. La cité n'a plus de recoins, où une larme versée ne soulèverait la risée générale. | | | | |
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| pessõa f. | | | La vie est une hésitation entre une exclamation et une interrogation. Dans le doute, il y a un point final. | | | | |
| | doute | | | Le doute est le talent de plier le point d'exclamation, l'intelligence - le pli du redresseur du point d'interrogation, et l'ironie - le génie de se contenter de la ponctuation, que remplissent hurlements ou bâillements. | | | | |
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| hommes | | | Depuis deux siècles, on nous annonce le dépérissement de la culture européenne, qui viendrait d'un nihilisme rebelle. Or, c'est un holisme grégaire qui s'en charge, avec beaucoup plus d'efficacité. « Chute de tout à cause de tous ! Chute de tous à cause de tout ! »** - Pessõa. Aucune contre-réforme, aucune contre-révolution en vue ; l'abêtissement, c'est à dire la robotisation (succédant à la moutonnaille, cette « parfaite et définitive fourmilière » vouée par Valéry à la permanence), semble être irréversible. Et comme conséquence logique - l'extinction du regard, puisque c'est la culture qui le forme (Nietzsche). | | | | |
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| pessõa f. | | | Je passe ma vie à me demander si je suis profond, sans autre sonde que mon regard. | | | | |
| | intelligence | | | Tu te trompes d'outil : le regard ne sert que pour mesurer la hauteur. Pour la profondeur, suffisent des balances ou des mémoires. | | | | |
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| ironie | | | Le conflit entre le fond et la forme s'illustre le mieux par le tiraillement entre l'enthousiasme, ce fond de notre âme, et l'ironie, cette forme de notre plume. Mais en en inversant les rôles, on commet une faute de goût, que remarque Pessõa : « L'enthousiasme est une grossièreté ». | | | | |
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| noblesse | | | La vie devrait être une alternance des lointains et des proximités, donc des vertiges et des caresses, une rencontre de l’étoile et de l’arbre. « Quand la nef s’approche, la falaise lointaine se dresse en arbres, là même où le Lointain ne voyait rien »** - F.Pessõa. | | | | |
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| pessõa f. | | | Mon passé, c'est tout ce que je n'ai pas réussi à être. | | | | |
| | noblesse | | | Et l'on enrichit son avenir en y déposant ses projets de défaites imprévisibles. | | | | |
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| pessõa f. | | | La devise pour définir ma forme d'esprit, c'est celle de créateur d'indifférences. | | | | |
| | noblesse | | | C'est aussi peu prometteur que la seule création de différences. C'est de la jonction de l'ironie et de la passion que naît la meilleure forme d'esprit. | | | | |
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| pessõa f. | | | Travailler avec noblesse, espérer avec sincérité, aimer les hommes avec tendresse - voilà la vraie philosophie. | | | | |
| | noblesse | | | Tout cela est complètement niais : la noblesse, c’est espérer grâce au rêve ; le travail, au milieu des hommes, n’est qu’un devoir pragmatique ; la tendresse n’accompagne qu’un regard sur la beauté d’une œuvre d’art ou d’un être aimé. L’auteur nous assomme avec ses slogans idéologiques. | | | | |
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| proximité | | | Tout ce qui t'est précieux, aime-le de loin. Demande-toi pourquoi tu crois, que les horizons sont sans limites, le ciel est bleu et l'étoile amicale et compréhensive ? Ou bien, je me trompe avec Pessõa : « Voir, c'est être loin » - le délicat s'accommode à tant de distances : de zéro à l'infini, de l'intimité à la justice, de la fusion à la solitude. | | | | |
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| proximité | | | Laquelle de mes images est la plus proche de moi ? Celle de mon livre ou celle de ma vie ? Mon arbre ou ma forêt ? Le césar se reconnaissait-il mieux sur son effigie ou dans son fils ? Se reproduire ou se simuler : « Je n'ai jamais été que le simulacre de moi-même » - Pessõa - le moi étant un inconnu sacré, dont on ignore le lieu et la date du sacre, il vaut quelques rites d'artiste ou mythes de théiste. « Je suis encore très loin de moi, mais je veux le devenir ! » - G.Benn - « Ich bin mir noch sehr fern. Aber ich will Ich werden ! ». | | | | |
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| pessõa f. | | | Être poète n'est pas une ambition que j'ai, c'est ma manière à moi d'être seul. | | | | |
| | solitude | | | Le bien et la poésie, cette pudeur des solitaires, une fois exhibés en foires s'échangent contre toute prose indifférente ou impudique. « La solitude plaît aux Muses ; la cité est hostile aux poètes » - Pétrarque - « Solitudo placet Musis, urbs est inimica poëtis ». | | | | |
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| pessõa f. | | | Faillite générale de tout à cause de tous ! Faillite générale de tous à cause de tout ! | | | | |
| | solitude | | | Tout au contraire, tout et tous triomphent partout ; c'est le seul qui s'effondre à cause de lui seul ; et il est le seul à continuer à voir dans sa ruine - une tour d'ivoire. | | | | |
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| pessõa f. | | | L'aristocrate est un homme, qui ne saurait oublier, qu'il n'est jamais seul. | | | | |
| | solitude | | | Mais ce n'est pas à un observateur qu'il songe, mais à un interlocuteur. Non pas pour adosser son geste, mais pour rehausser sa geste. | | | | |
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| souffrance | | | L'homme se débat contre la vie, sans la percevoir ni, encore moins, la concevoir. « J'ai beau voir et comprendre la vie, je ne peux la toucher » - Pessõa – mes yeux manquent de regard ou mon toucher est trop loin d'être une caresse. Combattre un ange, plutôt que scruter une bête. Être un ange et en vivre la souffrance, plutôt que « se faire une bête, afin d'étouffer la douleur d'être un humain » - S.Johnson - « to make a beast of himself in order to get rid of the pain of being a man ». | | | | |
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| pessõa f. | | | Tous les sentiers du rêve me ramènent aux clairières de l'angoisse. | | | | |
| | souffrance | | | Je me remets en droit chemin, et je me retrouve dans un paysage sans couleurs, où ne pousse que l'indigeste ataraxie. | | | | |
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| pessõa f. | | | Ceux qui souffrent véritablement ne se rassemblent pas en troupeau. | | | | |
| | souffrance | | | Même s'ils le désiraient, à leur hauteur on ne trouverait pas assez d'herbe. La souffrance est un désert sourd, où les prophètes muets crèvent. C'est dans l'écriture qu'on trouve une oasis, avec une source, près de laquelle mourir de soif est le moins dégradant. Quand on n'est pas une île, inondée de larmes, on est un désert des yeux secs. | | | | |
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